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anciens auteurs ont appelé ivresse convulsive. « Dix hommes peuvent à peine, dit Percy, se rendre maîtres de cette espèce de forcené. Son regard est farouche, ses yeux étincelans, ses cheveux se hérissent, ses gestes sont menaçants; il grince des dents, crache à la figure des assistans, et ce qui rend ce tableau plus hideux encore, il essaie de mordre ceux qui l’approchent, imprime ses ongles partout, se déchire lui-même, si ses mains sont libres, gratte la terre, s’il peut s’échapper, et pousse des hurlemens épouvantables. » C’est à cette période terrible de l’ivresse qu’il faut rapporter les crimes et les meurtres qui sont commis par des ivrognes. Ceux qui ont ce genre d’ivresse sont aussi peu responsables que des aliénés, et le délire que Percy a si énergiquement décrit est absolument semblable au délire des maniaques. Du reste cette forme de l’ivresse ne survient guère que chez les malheureux qui ont le sang vicié par des excès alcooliques antérieurs, et c’est un des accidens les plus redoutables de l’alcoolisme que le délire furieux survenant à la suite d’un nouvel excès de boisson, même si cet excès est peu de chose relativement à tous ceux qui ont précédé.

C’est qu’en effet l’action de l’alcool n’est pas seulement une intoxication rapide, à courte échéance ; elle peut, si on en prolonge l’usage ou l’abus pendant quelque temps, devenir une intoxication chronique qui trouble profondément toutes les fonctions de nos organes, et finit par altérer tous les tissus. Plus peut-être que les autres systèmes organiques, le système nerveux est altéré, et particulièrement l’encéphale. Des expériences précises tentées sur des animaux dont on mélange les alimens avec de l’alcool ont démontré que le cerveau absorbait une certaine quantité de cette substance, par suite de l’affinité élective que certains tissus ont pour certains poisons déterminés, en sorte qu’on peut, après avoir sacrifié des chiens ainsi intoxiqués, prendre leur cerveau, et en retirer par la distillation une certaine quantité d’alcool. Si on continue l’expérience pendant plus de temps, ces malheureux chiens, victimes involontaires de l’ivrognerie, finissent à la longue par perdre l’intelligence : ils deviennent inquiets, tristes, agités. Suivant M. Magnan, ils ont de véritables hallucinations; par momens ils se croient poursuivis, courent effarés, en hurlant et en cherchant à mordre dans le vide. D’autres fois, au milieu de la nuit, ils poussent des gémissemens plaintifs et tremblent de tous leurs membres, comme s’ils voyaient devant eux d’épouvantables fantômes.

La tristesse et la crainte, tels sont aussi chez l’homme les résultats de l’empoisonnement chronique de l’intelligence par l’alcool. Il semble que, par une sorte de légitime vengeance, la nature fasse expier les joies de l’ivresse par les terreurs de l’alcoolisme. D’abord