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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/844

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antérieures ont-elles une très grande influence sur la forme du délire. Tel qui accepte en souriant le chloroforme aura une ivresse joyeuse et gaie, tandis que celui qui le subit avec épouvante aura un délire accompagné de cris, de gémissemens et de terreurs.

Ainsi, plus nous avançons dans cette étude, plus nous voyons qu’il y a un antagonisme entre les différentes facultés intellectuelles; d’une part les facultés volontaires, d’autre part les facultés inconscientes. Celles-ci disparaissent les dernières; la conception des idées, alors que leur direction est altérée ou détruite, suit ses lois habituelles : l’association des idées a toujours lieu, la chaîne continue qui relie la première de nos conceptions à la dernière, sans qu’il y ait d’interruption, n’est pas brisée par le poison. Les sensations extérieures nous parviennent encore, et chacune d’elles éveille une longue série de conceptions. Comme c’est le sens de l’ouïe qui disparaît en dernier lieu, alors que le patient ne peut plus ni voir ni sentir, il entend ce qui se dit autour de lui, et aussitôt les paroles des assistans font naître dans son intelligence des idées de toutes sortes qui se succèdent régulièrement. On rencontre dans le sommeil ordinaire un état semblable, rarement chez les adultes, mais assez souvent chez les individus très jeunes. Il y a en effet chez les enfans presque toujours un certain degré de somnambulisme naturel : sans se réveiller, l’enfant parle tout haut; tantôt il rit, il cause, le plus souvent il est effrayé et il pleure. La mère qui veille à son chevet peut, par de tendres paroles et de douces caresses, changer le cours de ces idées et calmer cette agitation et cette terreur. L’enfant ne se réveille pas, mais sa frayeur s’apaise, le calme revient, et il continue tranquillement son sommeil réparateur. Au réveil, tout souvenir a disparu. Dans l’aliénation mentale, on a cherché à employer cette méthode pour changer le cours du délire des mélancoliques ou des hypocondriaques. Je ne crois pas d’ailleurs que la suggestion ait donné de bons résultats thérapeutiques. Quand on voyait un malade plongé dans un délire triste, on lui jetait à l’oreille, en passant, des idées gaies et riantes, espérant que ces conceptions agréables feraient naître une suite d’idées semblables, et finiraient par triompher des tristesses et des épouvantes du délire mélancolique.

Mais tous ces phénomènes extérieurs, qui témoignent de la conservation, sinon de l’intégrité de l’intelligence, ne tardent pas à disparaître. Aux cris, aux chants bruyans, succèdent des paroles confuses et inintelligibles. Les muscles, énergiquement contractés par suite de la violence du délire, se relâchent lentement et finissent par retomber inertes. A la période d’excitation succède la période dite de résolution, pendant laquelle le sommeil est profond. Quelle que soit la violence des excitations extérieures, quelle que soit la gravité