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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/892

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patriotique. Nous ne raconterons pas ici l’histoire de la reprise du Havre. Le détail des négociations relatives à cette place se trouve tout au long dans l’Histoire des princes de Condé et dans les curieuses dépêches que M. le duc d’Aumale a retrouvées dans les archives anglaises. Condé eut quelque peine à se dégager des liens où voulait le tenir Elisabeth ; il songea même à faire épouser la reine d’Angleterre par le roi très chrétien, qui avait, disait-il à Smith, « plus d’inclination à l’Évangile qu’on ne pense. » Coligny, plus engagé que Condé, fut aussi rebelle que lui aux exigences d’Elisabeth. Il fallut enfin en venir à l’argument des armes. Huguenots et catholiques versèrent ensemble leur sang dans la tranchée du Havre, qui capitula le 28 juillet 1563.


III.

Éléonore de Roye, qui avait été si forte contre les grands coups du destin, qui avait traversé avec un calme et une douceur héroïques les plus terribles dangers et les plus tragiques événemens, se trouva faible devant des souffrances purement domestiques. Condé, prisonnier des Guise, condamné à mort, de nouveau prisonnier après Dreux, était son héros en même temps que son mari; elle s’inclinait devant les décrets de la Providence, qui le jetait dans les périls et ne l’arrachait à la mort que pour le lui offrir de nouveau; épuisée par ses continuelles grossesses, elle était heureuse de porter dans ses flancs débiles les rejetons de celui qui n’était pas seulement pour elle un prince du plus noble sang, mais le défenseur d’une foi sacrée; qu’allait-elle devenir quand Condé, comme avait fait son frère Antoine, tomba dans les pièges que lui tendit Catherine, et quand le bruit de ses infidélités remplit la cour et les églises? La peste d’Orléans, les poignards fanatiques de Paris, l’avaient épargnée, comme par miracle; elle ne put échapper aux coups que lui porta la main qui n’était faite que pour la soutenir et la protéger.

« Jeune encore, écrit l’historien des princes de Condé, presque aussi sévère en cette occasion que le comte Delaborde, sevré depuis trois ans de toute distraction, exposé, après deux captivités, après tant d’épreuves, à toutes les séductions de la cour la plus corrompue, il se livrait sans frein à tous les entraînemens de sa nature ardente... Comment croire qu’il pût s’occuper sérieusement des intérêts de la religion, alors qu’il était sans cesse à la chasse, au jeu de paume, y mettant une telle ardeur que sa santé en fut souvent compromise? Comment croire à la fermeté de sa foi, déjà et non sans