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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/928

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épouvante les progrès d’un mal inconnu qui tend, des bords du Rhône, à répandre partout ses ravages. L’agent de destruction est enfin découvert : c’est un microscopique puceron venu d’Amérique dans les flancs de quelque néfaste navire ; ses légions, multipliées à l’infini, aspirent le suc de la plante dans les racines les plus profondes. Pour la vigne comme pour le ver à soie, la culture aurait-elle été excessive ? La nature surmenée se refuserait-elle à suivre l’homme dans cet avide acharnement au travail qui est le fait de notre temps ?

Après avoir envahi la montagne, la détresse avait gagné les coteaux ; mais la plaine était encore prospère avec la culture de cette plante aux racines pénétrantes qui fournissent la teinte de la pourpre. Cette culture assurait une large rétribution aux ouvriers agricoles, tout en étant merveilleusement appropriée aux champs desséchés du pays d’Avignon, auxquels elle était seule capable de donner quelque valeur. Voici que, des résidus les plus vils de la fabrication du gaz d’éclairage, on extrait les couleurs rouges les plus éclatantes. Le bas prix de cette fabrication nouvelle fait à la garance une ruineuse concurrence ; il en rend la culture désormais impossible.

C’est ainsi que, par la gattine, le phylloxéra et l’alizarine, les productions les plus importantes de la vallée du Rhône se trouvent anéanties ou ruinées. Les pertes qui en résultent dans le rendement du sol et dans les salaires s’aggravent chaque année ; aujourd’hui estimées officiellement à plus de 80 millions, elles dépasseront ce chiffre l’an prochain. 80 millions de pertes annuelles, que de misères, de désespoirs, de désolations dans les chaumières ! C’est l’émigration et sa fuite douloureuse atteignant parfois le quart des villages dans les localités les plus éprouvées ; c’est la dépopulation, encore plus désastreuse que le manque des plus riches récoltes. Mais cette détresse pourrait être atténuée et même réparée par une vaste et grandiose amélioration agricole, par une large répartition du flot du Rhône dans la vallée. C’est l’eau, cet indispensable aliment dont les plantes sont privées dans cette région, c’est l’eau qui, sous l’influence vivifiante du chaud et clair soleil du Midi, donnerait aux récoltes une luxuriante abondance, capable de compenser en peu d’années les désastres passés.

Amplement distribuée, l’eau permettrait de transformer en grasses prairies ces terrains secs et d’un travail ingrat qui, faute de donner la garance, ne rendent plus que de maigres produits. Ces prairies faciliteraient l’entretien d’un bétail nombreux ; elles se prêteraient surtout à l’élevage de meilleurs chevaux, dont l’insuffisance est une des plus grosses difficultés de notre organisation militaire. La création de ces vastes pâturages donnerait aussi le moyen de garder