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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/102

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garder sur la dernière feuille de Fréron. L’auteur des Cacouacs[1], en attaquant l’Encyclopédie en général et quelques-uns des auteurs en particulier, avait jugé à propos de ne rien dire nommément contre moi ; il a plu à Fréron de ne pas suivre cet exemple. Dans un endroit des Cacouacs, il est parlé de la géométrie : Fréron, en rapportant cet endroit, a ajouté une note dans laquelle il cite un de mes ouvrages, pour faire connaître que l’auteur a voulu me désigner en cet endroit, quoique la phrase qu’il rapporte ne se trouve dans aucun de mes ouvrages. Mes amis m’ont représenté, monsieur, que les accusations de l’auteur des Cacouacs étaient trop graves et trop atroces pour que je dusse souffrir d’y être impliqué nommément ; je prends donc la liberté de vous porter mes plaintes du commentaire que Fréron a fait à mon sujet, et de vous en demander justice. »


Malesherbes, qui était l’ami des philosophes, mais qui l’était encore plus de l’équité et de la tolérance littéraire, refusa de punir Fréron. C’était un des principes les plus fermes de ce sage en matière de presse, que la critique littéraire devait être permise, et que l’examen d’un livre dans lequel l’auteur n’est jugé que d’après son œuvre est critique littéraire. Il fit pourtant quelques remontrances à Fréron, qui répondit, au jugement de Sainte-Beuve, « avec toute sorte d’esprit et de justesse[2]. »


« Monsieur,

« Il m’est impossible de vous envoyer la note des articles encyclopédiques où je suis directement ou indirectement attaqué. Je n’ai jamais lu toute l’Encyclopédie ni ne la lirai jamais, à moins que je ne commette quelque grand crime, et que je ne sois condamné au supplice de la lire. D’ailleurs ces messieurs me font venir à propos de botte dans les articles les plus indifférens et où je ne soupçonnerais jamais qu’il fût question de moi. On m’a dit qu’à l’article Cependant, par exemple, il y avait deux traits, l’un contre Dieu, l’autre contre moi ; mais l’article où ils se sont le plus déchaînés sur mon compte, c’est l’article Critique ; il y en a mille autres que je ne me rappelle pas et mille autres que je n’ai pas lus. »


Puis Fréron recommence la kyrielle de ses récriminations contre les encyclopédistes qui l’ont fait mettre à la Bastille, qui se sont efforcés de lui ôter la protection du roi de Pologne, qui ont pensé le faire chasser de l’académie de Nancy, qui ont écrit mille horreurs sur son compte à la cour de Lunéville, etc. Ce qui est piquant, c’est qu’à cette date (27 janvier 1758), il y avait quatre ans que le roi

  1. Plaisanterie de Moreau contre les encyclopédistes.
  2. Sainte-Beuve n’avait publié qu’une partie de la réponse de Fréron. M. Etienne Charavay a donné la lettre tout entière dans l’excellent opuscule déjà cité.