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pleins de fleurs de la montagne ; deux petits tableaux, des icônes, tout cet humble trésor dont le soin lui prenait une partie de ses journées. Nous traversâmes en sortant la passerelle de bois vermoulu jetée sur le précipice, et qui relie entre elles les deux parties du couvent ; elle tremblait légèrement sous nos pieds et n’avait pas de parapet. Panaïoti, répondant à mon étonneraient, me dit que c’était la cause d’accidens qu’il serait facile d’éviter, et qu’il voudrait voir cesser ce danger de tous les jours ; deux folles, à six mois de distance, s’étaient ainsi laissées tomber et s’étaient tuées ; pareil sort devait arriver à celle que j’avais rencontrée.

De ce côté du précipice, les maisons plus grandes formaient de petits bâtimens carrés qui servent d’ateliers de tissage. Nous entrâmes dans le plus proche : une vingtaine de femmes en robes bleues étaient assises chacune devant un métier et tissaient, sans parler, sans lever la tête, des pièces de coton semblables à leurs vêtemens. Quelques-unes, les plus adroites, avaient en face d’elles des métiers plus compliqués, chargés de fil de coton ou de soie de différentes couleurs, et disposaient dans la trame de l’étoffe des dessins variés. Celles-ci travaillaient soit pour elles, soit pour d’autres calogriai plus riches qui leur fournissaient le fil ; le produit de leur travail, vendu aux marchands d’Aigion, constitue un petit revenu pour Pépélénitza.

Plus encore qu’à Taxiarque, chacun vit pour soi dans cette singulière communauté. Les règlemens qui astreignent à certains devoirs journaliers les calogriai laissent à celles-ci l’indépendance la plus complète pour tout ce qui touche à leur habitation, leur nourriture, leur travail et l’emploi de leur temps en dehors des offices qu’elles ont coutume d’entendre deux fois par jour. Une seule chose importe, c’est que chacune soit en état de subvenir à sa propre existence, et ne soit jamais exposée à devenir une charge pour ses compagnes. La plupart ont de quoi vivre, et demeurent oisives ; celles qui sont dénuées de ressources travaillent pour les autres qui les paient en conséquence. Rien ne ressemble plus à une petite ville dont les habitans auraient fait vœu de ne jamais sortir que ce couvent de femmes ; ce n’est qu’en le considérant à ce point de vue que l’on comprend son organisation. Une chose seulement étonne plus que les autres, dans un pays comme la Grèce, où les croyances sont fermes, mais calmes, et où le sentiment de la foi ne s’exalte jamais jusqu’au mysticisme, c’est qu’il est presque impossible de découvrir quel motif a pu pousser ces femmes à la retraite. D’autre part, si on se rappelle que. les femmes en Grèce vivent trop dépendantes, trop effacées pour songer jamais à prendre un parti aussi grave que celui de se dérober au monde, et qu’elles ont toutes,