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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/170

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ressentîmes tout d’abord tenait de la surprise et de la frayeur que pourrait inspirer la vue d’un immense château de cartes de toutes couleurs collé contre une roche, habité par des êtres humains.

Dominant de vastes jardins pleins d’ombrage qui forment une colline en pente douce jusqu’au fond de la vallée, une série de petits étages irréguliers couverts de peintures criardes, sales et toutes différentes, s’élèvent les uns sur les autres dans le creux d’un énorme rocher. Tous ces étages ajoutés successivement, sans toit, au-dessus des premières constructions, ont formé peu à peu un haut bâtiment sans profondeur qui semble plaqué sur le granit et ne tenir que par un miracle d’équilibre. Le sommet, inégal par le fait des constructions élevées au gré de chaque propriétaire à diverses hauteurs, semble composé de mansardes superposées, les unes élancées et dépassant les autres comme des nids de vautours attachés au rocher, les autres plus basses et paraissant inachevées. Au lieu de s’agrandir en profondeur ou en largeur, cette étrange cité, que peuplent près de quatre cents moines, resserrée d’une part au nord contre la montagne, arrêtée de l’autre au sud par un vallon rapide, s’est développée en hauteur. C’est une ville dont les habitans, augmentant insensiblement, n’ont pour s’établir que les quelques mètres carrés occupés par les fondateurs et prennent le parti de bâtir leurs maisons les unes au-dessus des autres, jusqu’à ce que l’immense roche qui soutient tout l’édifice soit complètement couverte de cette nouvelle mosaïque. Une infinité de petites fenêtres de toutes les formes, larges ou étroites, percées au hasard et selon l’époque des constructions successives, apparaissent de loin comme des trous noirs sur cette haute façade que le temps, l’incurie et le mauvais goût des moines ont revêtue des teintes les plus sales. Nous nous étonnions en avançant que les tremblemens de terre, si fréquens et si terribles dans le nord du Péloponèse, ébranlant ce fragile entassement de cellules, ne l’eussent pas déjà fait rouler pêle-mêle dans un écoulement jusqu’au fond de la vallée.

Suivant en file indienne un petit chemin ombragé qui serpentait sur la colline, nous fûmes bientôt doucement surpris en nous trouvant au milieu des jardins que nous distinguions d’en bas, encore fleuris, tout embaumés de ces chauds parfums que ramène le soir. D’épais massifs d’églantiers, de rosiers, dominés par les cimes pleines de fruits mûrs des merisiers, des figuiers, des orangers, des néfliers du Japon, tendaient et enlaçaient leurs branches au-dessus de notre sentier ; des bandes d’oiseaux chanteurs frissonnaient dans les feuilles et se dispersaient sous le ciel à notre approche pour se reformer derrière nous. Mais nous n’avions pas fait cent pas que peu à peu des monceaux d’ordures, des débris de toute