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contre cette éternelle torpeur ; tout leur est un prétexte pour en sortir, le vice plutôt que la vertu, parce que le vice signifie action et excès, tandis que la vertu est le plus souvent faite de résistance et d’abstention. Qu’une circonstance imprévue se présente, offrant l’occasion de poursuivre un but noble, non plus d’une façon passive, mais efficace, ils saisiront tous cette occasion. C’est ainsi qu’en 1821 ce prodigieux élan de patriotisme et de courage que la soif de l’indépendance inspira aux Grecs fut aussi imprimé aux moines eux-mêmes, aux moines surtout, qui s’étaient faits avec enthousiasme les partisans de cette grande cause et qui furent les premiers à la servir. L’insurrection éclata dans cette partie même de l’Achaïe, à Calavryta ; c’est de là qu’elle s’étendit à toute la Grèce, enflammant l’Europe entière d’enthousiasme au récit des premiers exploits de ses héros. Les moines montrent encore au sommet du rocher qui abrite le monastère, dominant toute la vallée, un vieux canon qu’ils ont conservé ; c’est le seul débris qui rappelle, au milieu de cette société qui a perdu dans l’inertie jusqu’au dernier des sentimens généreux, le passé glorieux d’une génération disparue.

IV

L’impression pénible que nous avait laissée à tous ce court séjour au Mégaspiléon se dissipa vite, grâce à la nouveauté du chemin que nous suivions pour gagner les chutes du Styx. Nous étions partis avant quatre heures ; le soleil n’était pas encore levé. Rendus plus frileux après la nuit que nous avions passée, nous nous serrions d’abord sans rien dire, chacun dans notre manteau, grelottant sous la fraîcheur des bois que nous traversions. Peu à peu, le ciel gris s’éclaira ; chaque fois que la silhouette inégale des montagnes qui s’étendaient devant nous laissait voir l’Orient, nous découvrions l’horizon délicatement teinté, selon l’expression incomprise d’Homère, d’un voile de safran (krokopeplos) ; les buissons s’animaient du chant matinal des oiseaux. Bientôt le ciel, devenu pourpre, apparut lamé de lignes d’or, le soleil se leva.

Nous avions un long trajet à faire : il nous fallait gagner avant le soir le village de Solo, bâti dans la vallée du Crathis, au pied du Chelmos, immense rocher d’où se précipitent les eaux noires du Styx et dont nous espérions pouvoir faire l’ascension avant la nuit. Nos chevaux gravissaient avec peine une pente très raide, mais à mesure que le soleil monte et devient plus ardent, les bois se pressent, l’ombre s’épaissit, nous nous trouvons en pleine forêt. Plus loin le sentier s’adoucit, et son inclinaison devient insensible ; il serpente au fond d’un charmant vallon où le pin, le cèdre, le bouleau entremêlent leur feuillage ; un torrent d’eau claire coule au bord