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satisfaire ce penchant théâtral qui les domine. Elles sont sans cesse à jouer avec un égal succès la comédie ou la tragédie dans les scènes plates de la réalité. Terreur, joie, douleur, colère, tout chez elles devient du drame, et ces passions surviennent presque sans cause, à l’improviste pour ainsi dire, surprenant tout le monde par leur brusquerie, leur mobilité et leur intensité. Pour le hachich, ainsi que je l’ai dit déjà, on observe cette même transformation des sentimens. Je me rappelle qu’un de mes amis ayant pris du hachich et étant arrivé à l’état d’ébriété, je voulus explorer sa sensibilité avec une épingle ; la vue de cette épingle lui inspira une frayeur profonde. Il se sauva en criant, comme si je voulais lui faire une grave blessure, puis il se jeta à mes genoux, en me suppliant, au nom de l’amitié et de tout ce que j’avais de plus cher, de ne pas lui infliger ce cruel supplice, et pour exprimer sa frayeur, ou pour implorer ma pitié, il trouvait des gestes et des accens tragiques qui faisaient l’effet le plus risible du monde.

L’impuissance de la volonté est très remarquable chez les hystériques ; elles sont incapables de se contenir et de dominer leurs sentimens. Suivant une expression consacrée par l’usage et fort juste, comme les termes populaires, elles disent tout ce qui leur passe par la tête ; à peine ont-elles conçu une pensée qu’immédiatement elles l’expriment tout haut, sans se préoccuper des conséquences de leur langage, en sorte que le débordement de paroles et d’insanités tient non pas seulement à l’exagération des idées, mais encore et surtout à ce que toutes les idées sont exprimées. Aussi, si l’on cause un peu de temps avec une hystérique, on saisit sur le fait les contradictions, les mensonges, les bizarreries de la pensée, le jugement ou la volonté n’intervenant pas pour rectifier, ce qu’elles ont de défectueux. Par la même raison, un accès de colère, de tristesse ou de joie ne peut être maîtrisé : les sentimens règnent en souverains absolus. Cette sorte de puissance pondérative, qui nous fait juger que telle chose est bonne à dire et telle autre bonne à taire, est inconnue des hystériques.

Or, dans le hachich, cette puissance sur soi-même a aussi tout à fait disparu. On ne peut plus se maîtriser, on ne s’appartient plus, et on est livré sans frein aux conceptions plus ou moins raisonnables de l’intelligence. Un jour, ayant pris une faible dose de hachich, et n’en éprouvant jusque-là aucun effet, je me rendis à une soirée intime, et j’écoutais tranquillement une conversation assez sérieuse, quand tout à coup, à une remarque que fit quelqu’un, je me mis à sauter de joie et à exprimer mon enthousiasme sur l’originalité de la pensée qu’on venait d’émettre ; mon idée n’était pas absurde, elle n’était qu’exagérée, et à peine l’avais-je