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comprend bien que pour l’avoir éprouvée soi-même. Il semble qu’on assiste à la chute lente et cadencée des heures dans le sablier du temps.

Rien ne peut être identifié à cette illusion ; cependant, dans le rêve, ou plutôt dans cet état intermédiaire qui n’est plus la veille et qui n’est pas encore le sommeil, on éprouve parfois quelque chose de semblable. Il me souvient qu’un soir, travaillant avec un de mes amis, et accablé de sommeil, je le priai de me laisser dormir quelques minutes ; quand je me réveillai, il m’assura que j’avais fermé les yeux à peine une seconde, pour me réveiller aussitôt. Cependant dans ce court espace de temps, qui m’avait paru très long, j’avais pu faire un rêve très compliqué, très détaillé, et, grâce à la multiplicité de mes conceptions, la durée du temps écoulé m’avait paru considérable. De même encore un individu endormi est réveillé en sursaut par le baldaquin de son lit qui tombe. Le choc fait aussitôt naître une série de songes plus longs à raconter qu’à concevoir. Notre homme se voit transporté sur une haute montagne, et il est environné par une foule hostile. On le précipite du haut d’un rocher, et après une chute qui lui paraît durer des siècles, il va se briser la tête dans un ravin : toutes ces conceptions ont duré une demi-seconde à peine, le temps qu’il faut pour être réveillé par une pièce de bois, qui tombe. On peut même assez facilement provoquer, par une sorte d’expérience psychologique, une illusion semblable. Ainsi, par exemple, quand on fait une course en voiture, si l’on est pris de sommeil et qu’on s’efforce d’y résister, on ouvrira et on fermera les paupières à de fréquens intervalles, et l’espace parcouru, comme le temps écoulé, pendant que les yeux sont fermés, nous paraîtront énormes. Il n’est même pas besoin de sommeil pour faire naître cette illusion sur la durée du temps. En fermant les yeux, le chemin qu’on parcourt, c’est-à-dire le temps pendant lequel on le parcourt, semblera interminable. Quelqu’un qui connaît la route, et sait qu’elle n’est pas très longue, se croira toujours arrivé, et chaque fois qu’il ouvrira les yeux, ce sera une nouvelle déception. C’est qu’en effet, à rester ainsi concentré en soi-même, sans voir, sans entendre, on n’a qu’une notion très imparfaite du temps réel. Au contraire, quand tous nos sens sont éveillés et attentifs, ils corrigent sans cesse l’appréciation fondée uniquement sur des données psychiques. Nous ne savons que très inexactement les services que nous rendent ainsi, à chaque instant, tous nos sens, et ce n’est que par la réflexion et l’analyse des faits psychologiques que nous arrivons à nous en bien rendre compte.

Quoi qu’il en soit, dans le rêve et le sommeil, cette illusion sur la durée du temps est vague et peu marquée. Au contraire, avec le