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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/202

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bromure de potassium ou de l’atropine, nous donne de précieux enseignemens sur les fonctions normales de cet organe, de même l’analyse des troubles fonctionnels de l’intelligence empoisonnée par des substances qui la pervertissent peut nous fournir sur le mécanisme de l’intelligence saine quelques notions incontestables.

Le fait essentiel et que nous avons cherché à mettre en pleine lumière, c’est que l’intelligence est toujours altérée dans le même sens. Les facultés volontaires et conscientes se paralysent ; les facultés imaginatives et conceptives s’exaltent. De là une certaine dualité dans le moi. Il y a le moi qui conçoit, il y a le moi qui dirige les idées. Quand la direction manque, le désordre dans la conception est inévitable, et les illusions, les hallucinations en sont la conséquence nécessaire : c’est qu’en effet il y a un certain équilibre dans les forces intellectuelles qu’il n’est pas bon de déranger. Une fois que cette harmonie n’existe plus, l’homme est livré sans frein à une activité cérébrale désordonnée, qui ne lui permet plus ni travail, ni modération, ni réflexion, et qui en fait, non une bête brute, comme on l’a dit à tort, mais un maniaque et un fou.

Le langage, qui est l’expression la plus parfaite des expériences et des observations de plusieurs siècles, dit que le vin trouble la raison. C’est que la raison n’est pas l’imagination. Avoir sa raison, c’est être en pleine possession de soi-même, rectifier les conceptions par les sensations extérieures et juger souverainement. Ce moi qui juge, rectifie et dirige, c’est la volonté, c’est aussi l’attention. Cette volonté n’est pas un être fantastique ni une forme de langage, c’est quelque chose de réel, d’actif et de puissant. Elle est le résultat des habitudes antérieures, des forces héréditaires accumulées sur le fils d’une longue série d’ancêtres et des sensations recueillies de tous côtés pendant des années. Elle a un pouvoir indiscutable : elle force les idées à suivre une direction constante, elle élimine à son gré les impressions du dehors et donne aux conceptions un sens déterminé dont elle est maîtresse. Cependant il se passe dans le cerveau une infinité d’actes dont nous n’avons pas conscience, et qui, grâce à elle, passent inaperçus et ne viennent pas nous troubler. De même que parfois, dans une foule d’hommes se pressant autour de nous, il en est un que nous suivons du regard, que nous distinguons de la foule, auquel nous parlons, qui nous répond, sans que nous prenions souci des autres qui nous entourent, de même, dans la foule de nos pensées, il en est une que nous choisissons, que nous approfondissons, que nous étudions avec persévérance, sans que les autres pensées, bruissant sourdement autour de celle-là, viennent nous en détourner et nous faire oublier le but que nous poursuivons.