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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/232

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bâtimens de commerce. Encore ce Hanovre si chèrement acheté, était-on bien sûr de le garder ? Pitt venait de mourir, Napoléon pensait sérieusement à conclure la paix avec l’Angleterre, et Talleyrand déclarait en son nom à lord Yarmouth qu’on était prêt à restituer le Hanovre à George III, quitte à chercher quelque compensation pour la Prusse. Bientôt on créait la confédération du Rhin, placée sous la protection de la France, sans daigner s’en expliquer avec le gouvernement prussien ; on l’engageait pour la forme à créer de son côté une confédération des états du nord de l’Allemagne ; mais on lui interdisait d’y faire entrer les villes hanséatiques, et sous main on agissait sur la Saxe et sur la cour de Cassel pour qu’elles fissent la sourde oreille aux appels qui leur viendraient de Berlin. On ne laissait pas de multiplier les déclarations rassurantes ; mais le comte Haugwitz, désabusé, avait écrit de Paris dès le 8 février 1806. « Je ne puis me défendre du soupçon qu’on gagne du temps pour faire prendre aux armées françaises des positions alarmantes pour la sûreté de la Prusse. »

Dans l’intervalle, on employait, pour préparer l’opinion publique aux événemens, des procédés qui ont été appliqués souvent depuis et tout récemment encore ; tel procédé qu’on croit original n’est qu’un plagiat, un emprunt fait à la politique napoléonienne. Le gouvernement français faisait rédiger à Paris et se faisait adresser de Cassel ou de Mannheim des lettres qui étaient insérées au Moniteur, et dans lesquelles on signalait le mauvais vouloir, l’aigreur de la presse allemande à l’égard de la France. On se plaignait de tel article paru dans la Gazette de Bayreuth, et on ajoutait « que la Gazette de Wesel ne paraissait pas dirigée dans un meilleur esprit, qu’évidemment M. de Hardenberg inspirait ou dictait lui-même les articles de ces journaux, que sans doute tout ce que pouvaient dire les gazettes prussiennes était très indifférent à la France, mais qu’il était bon de constater que la faction anglaise levait la tête en Prusse comme ailleurs. » L’occasion était bonne pour parler de « la pluie d’or » que l’Angleterre répandait sur les journalistes allemands, dont la plupart cependant lui étaient peu favorables. « Si l’Angleterre, remarque à ce propos Hardenberg, avait réellement ajouté à tant de sommes dépensées en subsides inutiles 200,000 livres sterling à distribuer aux diligens écrivains allemands qui s’efforcent d’ameuter l’opinion publique contre elle, on aurait vu tout l’effet que peut produire l’argent anglais sur des auxiliaires de cette espèce. » Le 8 février 1806, le comte Haugwitz énumérait dans une dépêche adressée de Paris « tous les griefs que Napoléon croyait être autorisé à avoir contre la Prusse et qui consistaient principalement dans un tas de petites choses, l’esprit des gazettes et les propos de société. » Hélas ! Napoléon Ier s’est chargé de tout apprendre à ses ennemis et aux héritiers de ses ennemis, la guerre, la politique, la diplomatie, la science des faiblesses humaines, l’art de les exploiter, de combiner la ruse avec les abus de la force et de mettre les moyens