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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/239

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être accomplies en un jour par la magie d’une décision de conférence ou d’une coercition matérielle. Elles ne peuvent au contraire se réaliser efficacement que dans le calme, avec un peu de temps, et c’est là que l’influence active, pressante de l’Europe peut avoir ses effets salutaires en aidant la Turquie, sinon pour la Turquie elle-même, du moins dans un intérêt universel, dont l’intégrité de l’empire ottoman reste la garantie. La guerre précipiterait la dissolution, cela n’est point douteux ; l’action morale, diplomatique, n’est point infaillible assurément ; elle peut, dans tous les cas, adoucir le mal, tempérer ou ajourner indéfiniment les crises, et ce résultat vaut bien que les gouvernemens de l’Europe y mettent toute leur prudence, même de la longanimité, qu’ils ne se hâtent pas d’ouvrir ce grand vide où peuvent disparaître pour longtemps la paix et la sécurité du monde !

Tandis que ces questions agitent l’Europe et tiennent tout en suspens, la vie intérieure de la France, il faut l’avouer, n’a point l’éclat qu’elle a eu dans d’autre temps ; elle est même réellement assez peu active, et l’activité qui se déploie par instans dans notre monde politique ressemble à de la confusion. Nos chambres, sagement réservées sur les affaires extérieures, prennent leur revanche dans nos affaires législatives, par toute sorte de petites choses ; elles multiplient les abrogations de lois, les propositions souvent aussi intempestives que mal calculées ; c’est ce qu’on appelle toujours faire les réformes que la France attend, et le plus curieux est que, lorsqu’il arrive au sénat d’arrêter au passage un de ces projets improvisés par la seconde chambre, on se hâte de crier contre le sénat, qui décidément empêche tout, qui repousse systématiquement toutes les innovations qu’on lui soumet ! Quelle est aujourd’hui, nous le demandons, l’opportunité d’une proposition ayant pour objet de réformer une des dispositions essentielles de nos lois militaires, de substituer le service de trois ans au service de cinq ans, établi par la législation de 1872 ? Cette proposition, présentée déjà dans la session dernière il y a six mois et repoussée par la chambre, a été récemment reproduite comme s’il y avait une urgence extrême, et cette fois elle a été prise en considération, malgré l’opposition de quelques députés plus prudens, plus avisés que les autres. Que dans tout ce travail confus et décousu que poursuit une commission passablement inexpérimentée sur les affaires de la presse on se laisse aller à des fantaisies, c’est un désordre sans doute, ce n’est pas d’une gravité démesurée. Il n’en est plus de même lorsqu’il s’agit de notre reconstitution militaire, de ce qui est, à vrai dire, le fondement de cette reconstitution. Ici tout est grave parce que tout peut avoir des conséquences désastreuses.

Ainsi voilà une loi de la première importance qui ne date que de cinq ans. Elle entraîne nécessairement toute une organisation engagée pour ainsi dire sur le principe du service de cinq ans. Elle est en pleine exécution, elle n’a point eu encore le temps d’avoir tous ses