Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

libéralité dans son regard ! et combien cette taille auguste et cette attitude augmentent encore la vénération qu’il vous inspire ! » Admirons la mythologie dans Homère et dans Hésiode ; mais, quand l’histoire se mêle d’imiter ses crimes et ses turpitudes, prenons les personnages pour ce qu’ils sont et ne nous laissons abuser ni par notre imagination ni par la distance. Ce sujet, nous ne l’eussions point choisi, cependant il ne nous effraie pas, et puisqu’il s’offre à notre élaboration si bien préparé et mis à point, lançons-nous tout de suite in médias res.


I

Au jour de son élection à la papauté (11 août 1492), le cardinal Rodrigue Borgia avait cinq enfans. Sur les origines de leur mère, Vannozza Catanei, planent certains doutes. Elle était pourtant, dit-on, de famille honorable. Quand et comment les rapports s’établirent avec Rodrigue Borgia, rien de positif ne l’indique ; tout ce que nous savons, c’est que vers 1480, à la date où pour la première fois son nom perce, elle était la femme d’un Milanais, George de Croce, exerçant sous le pape Sixte IV l’emploi de greffier apostolique, et que cinq ans plus tard, ce personnage étant mort en lui laissant un fils, elle épousa un gentilhomme de Mantoue, Carlo Canale, d’abord secrétaire de la Pénitencerie, puis (1490) gouverneur de tor’di Nona. A Rome, les propriétés de l’illustre dame faisaient nombre ; maisons, palais, vignes sur l’Esquilin, Osteria del Leone vis-à-vis de tor’ di Nona ; au pays de Viterbe, le château de Brada, qu’elle habitait en souveraine. Dans les tragédies de famille qui signalent le règne d’Alexandre VI, cette Vannozza n’apparaît guère qu’une fois. Elle avait eu du cardinal cinq enfans, — quatre fils et une fille, — tous reconnus : l’aîné, Pedro Luis, créé duc de Gandie par Ferdinand le Catholique, meurt jeune, et son frère Jean hérite du titre ; en septembre 1493, César, archevêque de valence, reçoit le chapeau de cardinal, et pour Geofroy, le plus jeune, son père le pape obtient la main d’une fille naturelle d’Alfonse, roi de Naples, dona Sancia d’Aragon, laquelle apporte en dot à son mari la principauté de Squillace. Les fils ainsi dûment lotis, restait à pourvoir la fille.

Celle-là, qui ne la connaît ? Sa renommée emplit l’histoire, et cependant, ni ses mérites, ni ses crimes ne sont en proportion du bruit qui s’est fait autour d’elle. Un homme d’esprit disait que l’histoire n’existait pas, et que c’étaient les historiens qui l’avaient inventée ; Montesquieu, appuyant, nous raconte que « les histoires sont des faits faux composés sur des faits vrais ou bien à