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prince Alphonse, que les cortès espagnoles, aptes avoir essayé de la république, après avoir tenté ensuite de substituer la maison de Savoie à la maison de Bourbon, sont allés chercher en exil pour lui rendre le trône de sa mère. Ce n’est pas là ce qui nous frappe le plus dans ce singulier entretien de M. Guizot et de lord Palmerston. L’entretien a-t-il eu lieu tel qu’il est raconté ? Les deux illustres interlocuteurs ont-ils tenu le langage qu’on leur prête ? Je sais bien que c’est un point difficile à élucider, puisqu’ils sont morts l’un et l’autre. Lord Palmerston et M. Guizot auraient pu seuls contrôler les assertions de Stockmar, et il est certain qu’on ne trouve aucune trace de ce fait ni dans les Mémoires de notre compatriote ni dans les biographies de l’homme d’état anglais. Cependant, est-il admissible qu’on invente de pareilles choses ? N’est-il pas probable que Stockmar, toujours attentif, toujours aux écoutes, aura recueilli ce détail, soit de Palmerston lui-même, soit de l’un de ses confidens, et qu’il l’aura noté au passage, comme il faisait souvent, sans en soupçonner toute la valeur ? Cette valeur est grande, on le verra par la suite de notre récit. Les paroles de M. Guizot, si elles ont été prononcées en 1840, réduisent à néant les accusations chicanières de Stockmar commentées et envenimées par son fils. Je retiens donc la note comme acquise au procès.

C’est en 1841 que les cabinets de Londres et de Paris commencèrent à s’occuper du mariage de la jeune reine. Les conversations du moins devinrent plus sérieuses, plus précises ; on ne se borna plus à des paroles fortuites comme dans l’entretien de lord Palmerston avec M. Guizot. Le roi Louis-Philippe, sans avoir encore arrêté les détails de son plan de conduite, avait fixé des règles générales dont il était résolu à ne pas se départir. Le fils du baron de Stockmar, éditeur de ses Mémoires, prétend que le roi des Français avait conçu l’idée de marier la reine d’Espagne avec un de ses fils, que le prince destiné par lui à cette alliance était le duc d’Au-ale et qu’il s’en était ouvert à la reine Marie-Christine. Quelles sont ici les autorités de M. Ernest de Stockmar ? Je ne sais ; Louis-Philippe a toujours affirmé le contraire, M. Guizot a toujours répété l’affirmation du roi avec des détails qui ne laissent prise à aucun doute. Une lettre du roi à M. Guizot, citée dans les Mémoires de ce dernier, contient ces paroles expresses : « Quand j’ai dit à lord Cowley, pour la trentième fois, que je n’avais jamais eu le moindre attrait pour cette alliance et que tous mes fils y étaient également contraires, lord Cowley m’a répété avec une insistance que je vous ai même signalée : Your majesty always said so[1]. » — La seule chose qui ait pu induire en erreur M. Ernest de Stockmar, c’est

  1. « votre majesté m’a toujours parlé ainsi. » Voyez M. Guizot, Mémoires, t, VIII, p. 109.