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reine Victoria et au prince Albert, c’est qu’ils me conservent dans leur cœur cette amitié et confiance auxquelles il m’a toujours été si doux de répondre par la plus sincère réciprocité, et que j’ai la conscience de n’avoir jamais cessé de mériter de leur part[1]. »


Cette justification ne désarma ni la reine Victoria ni le prince Albert. La reine répondit à Louis-Philippe par la même entremise. La fille de Louis-Philippe, comme elle avait reçu et transmis les explications de la France, reçut et transmit la réplique de l’Angleterre. Princesse accomplie, toute dévouée à son père et attachée à la nièce de son mari par la plus sérieuse affection, la reine Louise dut remplir en conscience son rôle de médiatrice. C’est elle sans nul doute qui empêcha la rupture de passer des sentimens aux faits. L’ancienne entente fut détruite, la paix ne fut point troublée. Elle ne réussit pas cependant à calmer le mécontentement de la cour d’Angleterre. C’est le 27 septembre 1846 que la reine Victoria lui écrivit sa réponse aux explications du roi des Français ; le même jour, lord Palmerston écrivait à lord Normanby : « La reine a écrit au roi des Français une lettre chatouilleuse[2] en réponse à la sienne. » On voit d’ici le sourire de celui qui annonçait la nouvelle en ces termes. L’habile homme avait persuadé à la souveraine qu’elle devait s’en tenir aux conversations du château d’Eu, que rien n’avait été changé dans la situation, que donner un autre sens à sa dépêche du 19 juillet (à cette dépêche où la candidature du prince de Cobourg était placée au premier plan !) c’était faire violence à ses paroles. Voilà précisément ce que la reine Victoria écrivit à la reine des Belges. Forte de sa loyauté, la reine d’Angleterre ne se rappelait que ce qu’elle avait fait elle-même ; le reste ne comptait pas. Étrangère à toute pensée d’intrigue, elle couvrait, sans le savoir, les intrigues de Palmerston et de Bulwer.

Si la reine était trompée par son ministre, comment l’opinion publique aurait-elle mieux connu la vérité ? Pour se rendre compte de l’irritation qui éclata dans toutes les classes de la société anglaise, il faudrait lire tous les journaux, toutes les brochures, tous les manifestes de l’année 1846. La clameur fut unanime. On retrouve encore la trace.de ces passions dans les notes que Stockmar traçait cinq ans plus tard, après qu’une révolution avait passé sur la France et dispersé les vainqueurs. C’était au commencement de l’année 1851 ; Stockmar, dans son cabinet de Windsor, toujours attentif, comme un vieux pilote, aux points noirs de la politique européenne, était effrayé des conséquences possibles de la révolution de 1848. Il cherchait à deviner ce qu’allait devenir la France,

  1. Revue rétrospective, Paris, mars 1848, no 2.
  2. Une lettre chatouilleuse, une lettre piquante, a tickler.