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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/392

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réservaient sur ses arts, ses dynasties, ses habitudes quotidiennes, je n’en mets aucune au-dessus de son rituel funéraire, ce livre des morts, placé dans la tombe des trépassés. Quel jour nouveau sur le sens le plus intime de la religion, sur les idées relatives à la vie future, jaillissant tout d’un coup des profondeurs des sépultures après plus de trois mille ans ! Une voix semble sortir du tombeau, la voix du mort qu’on entend prier, crier vers Dieu. D’un accent ému, avec une insistance vraiment pathétique, elle plaide sa cause devant « le Seigneur de vérité et de justice, » expose une à une les raisons de ne pas se voir fermer l’entrée du plérome (paradis). « Je n’ai commis aucune fraude. Je n’ai pas tourmenté la veuve. Je n’ai pas menti dans le tribunal. Je n’ai pas fait achever à un chef de travailleurs chaque jour plus de travaux qu’il m’en devait faire… Je n’ai pas été oisif… Je n’ai pas desservi l’esclave auprès de son maître… Je n’ai pas fait ce qui était abominable aux dieux… Je suis pur ! Je suis pur ! Je suis pur ! » (Traduction de E. Maspero.)

Il n’y a que ces croyances religieuses, jointes, il faut le dire ici, à une organisation politique et sociale qui laissait place au despotisme, qui puisent expliquer les plus prodigieux monumens du faste funéraire, les Pyramides de Gizeh. La pensée religieuse, commune à tous les tombeaux, se fait sentir dans les ornemens intérieurs. Vues, pour ainsi dire, du dehors, ces fameuses pyramides sont le produit, — il faudrait dire monstrueux, si le temps ne l’avait rendra sublime, — du faste monarchique le plus inouï. Quel tour de force architectural, combiné avec autant d’adresse que de solidité, que celui qui a donné aux pyramides de Khouwou et de Khawra. (Chéops et Chéphrem) ces assises qui défient le temps ! Mais comment oublier que c’est là l’œuvre de trente années de corvées effroyables, imposées, selon Hérodote, à 100,000 hommes prisonniers et indigènes ? Quelle tyrannie que celle qui, franchissant les limites dans lesquelles l’enfermait l’autorité sacerdotale, poussa ces populations à la révolte ! Le souvenir même en survécut si odieux qu’on les vit plus tard, dans un sentiment d’indignation vengeresse, arracher les cercueils des deux premiers rois constructeurs et les mettre en pièces. Les statues de Chéphrem ont été retrouvées brisées dans un puits où les avait précipitées une multitude furieuse ; mais peut-être ces magnifiques témoignages du faste funéraire et d’autres édifices qui en déposent de la manière la plus frappante en disent-ils moins sur ce culte de la mort que l’immense étendue qu’il eut dans toutes les classes, et qui seule explique l’innombrable quantité des hypogées de la vallée du Nil. Les tombes, qui forment à Gizeh de véritables rues, s’offrent tantôt clair-semées, tantôt accumulées à Saqqarah. Les dispositions, à peu près les mêmes dans toutes les