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sorte de désir, obscur encore, mais cependant plus précis que ses vagues langueurs. En même temps naissait un regret étrange de ce bonheur possible et inconnu auquel on lui disait qu’elle devait renoncer. Il lui fallut donc faire un effort et se raidir contre elle-même pour ne pas écouter cette voix intérieure. Il lui fallut une volonté héroïque pour étouffer cette espérance, d’autant plus vive qu’elle venait précisément de s’éveiller ; mais la noble jeune fille eut ce courage. Elle refoula ses larmes. Elle se tendit avec une énergie aveugle pour se mettre à la hauteur du sacrifice dont on la croyait capable. Calme et grave, ne laissant voir son émotion qu’au frémissement de ses narines, qui palpitèrent à la fois de douleur contenue et d’orgueil satisfait, elle tendit la main à la marquise, non avec l’abandon d’une fille qui cherche les caresses de sa mère, mais avec un geste presque auguste, comme si elle prêtait serment, et elle dit d’une voix ferme :

— Ma mère, je vous ai comprise. Je suis fière d’avoir à connaître les joies sévères du devoir. Je ne me marierai pas.

Comme si la marquise n’avait plus rien à faire dans la vie, maintenant que l’avenir de son fils lui semblait assuré, elle tomba malade peu de temps après et sentit qu’elle allait mourir.

Au lit de mort de sa mère, et en présence du marquis, Marguerite renouvela solennellement la promesse qu’elle avait faite.

— Merci, ma fille, dit la marquise, Maintenant je puis m’en aller tranquille.

Le marquis, qu’on avait trop habitué au dévoûment des autres pour qu’il ne fût pas égoïste, accepta ce sacrifice sans opposer la moindre résistance et comme une chose qu’on lui devait. Cependant, la vie ne lui ayant pas encore tout à fait desséché le cœur, il comprit que la parole de sa mère, toute pleine de sollicitude pour lui seul, pouvait paraître un peu dure à Marguerite, et il se crut obligé de dire :

— Ma pauvre sœur !

— C’est vrai, reprit la mère. Pauvre enfant ! je l’oubliais. Pardonne-moi, ma chère fille. Tu sais que je t’aime aussi. Non, non, je ne m’en irai pas tranquille. Que vas-tu devenir ?

— Ne vous inquiétez pas de mon sort, répondit Marguerite. Si Dieu vous rappelle à lui, ma mère, je chercherai auprès de lui mon refuge. J’entrerai en religion.

— Bien, ma fille, dit la marquise. Jésus est le meilleur des époux.

Une béatitude illumina les traits de l’agonisante. Sa parole devint plus faible et ressemblait à de doux soupirs de soulagement. Elle se laissait couler avec joie dans une mort sans regrets. Tout à coup elle se reprit à la vie. Elle avait une dernière inquiétude.

— Écoute, Marguerite, murmura-t-elle. Ton aïeul a légué