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s’étendent dans la plaine à proximité du chemin de fer, dont la gare déverse autour d’elle l’animation et la vie ; mais Vitoria garde aussi des titres à l’admiration des archéologues. Bâtie de toutes pièces en 1181 sur l’emplacement du minuscule village de Gasteiz par don Sanche le Sage, roi de Navarre, que menaçaient alors ses voisins de Castille et d’Aragon, la vieille ville occupe les pentes et le sommet d’une éminence où l’on atteint par des rampes de pierre. Là se trouve, intacte dans sa grandeur farouche, l’antique demeure seigneuriale de Villasuso, qui existait bien avant la ville et près de laquelle vinrent se grouper les habitations nouvelles ; en face était celle du comte de Salvatierra, le malheureux chef des communeros : vaincu par Charles-Quint, il mourut misérablement en prison, tandis que ses biens étaient confisqués et que sur le sol de sa maison rasée on semait du sel en signe d’exécration ; l’emplacement en est occupé maintenant par des greniers, publics. Vers le même endroit s’élève la curieuse église de San-Miguel, contemporaine de la fondation de la ville et depuis lors dépositaire du fameux couteau vitorien, sur lequel le syndic général de la cité était tenu de prêter serment : « Jurez-vous d’accomplir honnêtement et loyalement votre devoir ? demandait-on au futur magistrat. — Oui, je le jure ; répondait-il. — Si vous ne le faites pas, continuait la formule, c’est avec ce couteau qu’on vous coupera la tête. » On peut voir encore, dans la partie extérieure de l’abside, fermé d’une pierre plate et défendu par une grille en fer, le petit caveau où gisait la redoutable relique ; mais à la faveur des troubles qui depuis quarante ans déjà agitent le nord de l’Espagne, la clé qui servait à ouvrir la grille s’est perdue, dit-on : personne ne s’est plus occupé du couteau, qui doit être aujourd’hui complètement mangé par la rouille, et le sacristain lui-même, malgré son âge, déclare ne l’avoir jamais vu. Toutes les rues avoisinantes ont retenu après cinq siècles leurs noms marchands et pittoresques qui rappellent les corps de métiers : calle de la Herreria, de la Pintoreria, de la Cuchilleria, de la Zapateria, celle-ci toute pleine encore de savetiers, de pelletiers, de selliers, empestant la poix et le cuir ; les maisons elles-mêmes racontent le passé et trahissent leur date par la richesse de leur façade, la forme des arcs, la disposition des portiques et des tourelles. A plusieurs d’entre elles s’attachent des souvenirs historiques ; des rois, des papes y logèrent : Adrien VI, François Ier, Alphonse le Sage de Castille. Aussi, dans Notre-Dame de Paris, M. Victor Hugo pouvait-il chez vitoria comme « une ville gothique, entière, complète, homogène ; » pourtant, il faut le reconnaître, cette appréciation devient moins vraie chaque jour. Par le fait de l’importance, toute nouvelle que lui donne sa situation intermédiaire sur la voie ferrée d’Hendaye à Madrid, Vitoria semble