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aurait été fabriqué de semblables dans l’archipel, et on ignore l’époque à laquelle ils y auraient été apportés. Toutes ces anciennes poteries étaient très recherchées par les sultans, de Bornéo, les rois et les seigneurs du Japon qui les payaient jusqu’à 2,000 taëls pièce. Un franciscain a raconté à Carletti, lorsque ce dernier alla en 1597 de Manille au Japon, que le taïcoun de cet empire avait payé un vase ancien 130,000 scudi. D’après M. Jagor, une de ces reliques se trouverait au musée ethnographique de Berlin. Celui qu’on y voit est de terre brune, petit, d’une forme élégante, et composé de beaucoup de petits morceaux cimentés ensemble : les jointures sont dorées et forment une sorte de réseau se détachant d’une façon brillante sur le fond, qui est obscur.

Dans les cavernes de l’île de Leyte, visitées, il y a une trentaine d’années, par un prêtre qui, le goupillon à la main, avait voulu bravement en chasser les démons, on a trouvé un grand nombre de cercueils en bois incorruptible de molave. Les squelettes qu’ils contenaient, enveloppés de feuilles de pandanus, paraissaient avoir été embaumés. On y recueillit quelques anneaux et ornemens en or qui ont été perdus. Mas raconte en effet dans ses Mémoires que les anciens Visayas avaient coutume d’embaumer leurs morts et de placer leurs cercueils sur une falaise au bord de la mer, de façon à ce qu’ils fussent vénérés par ceux qui les apercevaient du large. Ce fait est confirmé par Thévenot, qui ajoute que ces peuples adoraient ceux d’entre eux qui s’étaient rendus célèbres par l’intelligence ou la bravoure. On les vénérait aux Visayas sous le nom de Davata, et dans l’île Luçon sous celui d’Anito. Comme chez les Romains, ces dieux lares protégeaient le foyer des familles et leur influence bienfaisante devait s’étendre même en mer sur les pêcheurs. La parole tagale antin-antin, qui de nos jours encore désigne une amulette, dérive évidemment d’Anito. C’était pour se rendre Davata et Anito propices qu’on leur sacrifiait des esclaves, hommes ou femmes. On leur rendait aussi un culte sous la forme de petites statues de bois ou d’ivoire appelées liche et laravan. Quand un héros expirait, la foule devait garder un silence absolu pendant tout le temps que durait le deuil. Dans plusieurs cas, ce mutisme forcé s’imposait jusqu’à ce que les plus proches parens du grand bomme eussent sacrifié plusieurs victimes humaines à ses mânes. Lors de la conquête, on trouva un grand nombre de petits temples dans lesquels étaient adorées des idoles en bois aux bras étendus et aux jambes ployées. Ces divinités barbares avaient de larges faces, et de leurs bouches sortaient quatre grosses dents comme des défenses de sanglier. Ces peuples redoutaient aussi un mauvais génie diamétralement opposé au bon dieu Anito. L’enfer s’appelait Solad, et le ciel Ologan.