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compétentes, ces canons auraient été coulés par les Tagales, qui auraient appris des Malais l’art de fondre les métaux et de fabriquer la poudre. Legaspi, dans ses lettres à Philippe II, rapporte que les Tagales de l’île Luçon sont non pas des barbares, mais bien des hommes civilisés, et que sa surprise avait été grande de trouver chez le roi de Manille une fonderie, dont il s’était empressé de se servir pour renouveler ses approvisionnemens de guerre. De même que chez les naturels de l’île Ceylan et chez les Battas de Sumatra, les lettres de l’alphabet des premiers Indiens des Philippines étaient tracées sur des feuilles de bananier ou de palmier talipote à l’aide d’un poinçon en bois. Ils en faisaient un fréquent usage pour dresser un inventaire de ce que chaque chef possédait en buffles et en porcs. On ne sait rien de précis sur l’organisation de la famille à cette époque.

Dans la cordillère, en partie inexplorée et couverte de forêts, qui, du nord au midi, coupe en deux l’archipel des Philippines, ainsi que dans d’autres parties montagneuses, on rencontre de nombreuses peuplades. Elles craignent la domination espagnole et préfèrent rester indépendantes. Quelques-unes sont composées d’individus ayant une grande similitude physique et morale avec les races actuellement soumises. Il ne faudrait pour les décider à se civiliser qu’un contact fréquent avec les Européens, et ne pas aller détruire leurs plantations, sous le prétexte d’empêcher la culture du tabac qui est monopolisée par le gouvernement. Ces tribus indomptées sont au nombre de dix-sept.

De toutes ces tribus, la plus intéressante est celle des Négritos ; ils seraient les derniers représentans de la race autochthone, et le type des premiers hommes qui seraient nés en Océanie. On les rencontre principalement dans les montagnes de la province de Nueva-Ecija de l’île Luçon, au sommet du Marivelès, et dans l’île de Négros, à laquelle on a donné le nom de ces sauvages parce qu’ils s’y trouvent en grand nombre. Ils sont petits, bien formés et d’une merveilleuse agilité ; leur nez est un peu aplati, les cheveux sont crépus, et leur visage moins noir, moins repoussant que celui des nègres des côtes d’Afrique. J’en ai vu beaucoup dans les rues de Manille en livrée, il est vrai, et leur apparence était celle des grooms de bonnes maisons. Dans leurs montagnes, ils vont à peu près nus, et ne se couvrent que les parties génitales avec l’écorce flexible d’un palmier. Un voyageur allemand, le baron Ch. de Hügel, dit que leur corps est décharné, couvert de poils noirs et roux. C’est inexact : ils ont le corps plein et sont aussi peu barbus que les Indiens ; du reste M. de Hügel est fécond en erreurs, car il parle des animaux féroces des Philippines, lorsqu’il est avéré qu’il n’y en a pas un seul. Les Négritos ont beaucoup de maladies cutanées, comme les