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simple du monde. Elle est arrivée avec une provision inépuisable de motions en portefeuille. Organisation militaire, administration, magistrature, cultes, enseignement, chemins de fer, régime de la presse, elle a des projets sur tout. Il n’y a pas de jour où M. le président Grévy, homme plein de patience, n’ait à enregistrer à son rang quelque production nouvelle de l’initiative parlementaire, et on a imaginé un moyen commode de tout concilier, de désintéresser l’amour-propre des auteurs de propositions sans rien engager : c’est la prise en considération ! Il y a en ce moment plus de quatre-vingts commissions occupées à examiner une multitude de motions ou de projets qui ont eu la faveur d’une complaisante prise en considération.

A quoi tout cela peut-il aboutir sérieusement ? A peu près à rien, si ce n’est cependant à un travail le plus souvent inutile, à une sorte de suspicion jetée sur toutes les parties de l’organisation française, à la déconsidération du régime parlementaire par les spectacles de confusion et d’impuissance qu’offrent assez généralement les commissions. C’est la stérilité dans l’agitation, et cet inconvénient aurait été au moins pallié si, au lieu de cette union des gauches qui ne sert à rien, il s’était formé une vraie et sérieuse majorité, maltresse de ses résolutions, sachant intervenir à propos pour arrêter ce torrent de propositions individuelles. Malheureusement il n’y a point une majorité suivant une direction, observant une discipline, et le gouvernement de son côté ne s’en occupe guère ; il semble se prêter à tout. M. le président du conseil est trop absorbé ou trop prudent pour gêner l’effervescence d’initiative de ses amis de la gauche, pour aller s’exposer dans des escarmouches. M. le ministre de la guerre est plein de mansuétude pour tout ce qui touche à son administration. Il n’admet pas, il est vrai, certaines propositions : il déclare qu’il les combattra — plus tard ; en attendant, il ne voit aucun inconvénient à laisser la chambre s’engager et les questions grossir. En un de compte tout passe, et c’est ainsi que marchent les choses dans l’intérêt de la république, du régime parlementaire et du gouvernement ! Pour faire patienter la gauche sur d’autres points, on paie rançon à quelques-unes de ses fantaisies, et parmi les plus récentes de ces fantaisies, la plus grave, la plus dangereuse à coup sûr, est cette motion sur la réduction des années de service militaire, cette proposition Laisant, qui, elle aussi, toujours avec l’agrément du ministère, a reçu l’inévitable passeport de la prise en considération.

Puisque cette discussion sur nos affaires militaires s’est réveillée un peu par un entraînement de la chambre, un peu par la faute du ministère, qui a craint probablement un échec, elle était faite pour tenter un homme comme M. Thiers ; elle était digne de son patriotisme, de son expérience, de son dévoûment invariable aux intérêts de la France et de l’armée. Il y a deux points sur lesquels M. Thiers s’est depuis