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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/489

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SAMUEL BROHL ET COMPAGNIE. ASS l'àme et toutes les grâces félines. Elle lui prodiguait les avances les plus flatteuses, elle aimait à se frôler contre lui, à sauter sur ses genoux, à se reposer dans son giron. En revanche, le grand épa- gneul fauve de M"* Moriaz tenait rigueur au nouveau venu et le re- gardait de travers; quand Samuel essayait de le caresser, il gron- dait en sourdine, montrait les dents, ce qui lui valut de vertes corrections de sa maîtresse. Les chiens sont nés gendarmes ou agens de police; ils ont des divinations merveilleuses et la haine instinc- tive des gens dont l'état civil n'est pas orthodoxe, dont les papiers ne sont pas en règle ou qui empruntent les papiers des autres. Quant à M"^ Moiseney, qui n'avait pas le flair d'un épagneul, elle était folle de ce noble, de cet héroïque, de cet incomparable comte Larinski. Dans un tête-à-tête qu'il avait eu avec elle, il lui avait témoigné tant de respect pour son caractère, tant d'admiration pour ses lumières naturelles et acquises qu'elle en avait été touchée jus- qu'aux larmes; pour la première fois elle se sentait comprise. Ce qui l'avait émue davantage encore, c'est qu'il lui avait demandé en grâce de ne jamais quitter M"^ Moriaz et de considérer comme sienne la maison qu'il aurait un jour. — Quel homme! s'écriait-elle avec autant de conviction que M"* Galet. La principale étude de Samuel Brohl était de s'insinuer dans les bonnes grâces de M. Moriaz, dont il redoutait les arrière-pensées. Il y réussissait en quelque mesure, ou du moins il désarmait son mauvais vouloir par la correction irréprochable de ses manières, par la réserve de son langage, par son incuriosité absolue dans toutes les questions qui pouvaient avoir un rapport prochain ou lointain avec ses intérêts. Où donc M'^' de Lorcy avait-elle pris qu'il y eût dans Samuel Brohl un commissaire-priseur, qu'il fît le signe de la croix avec les yeux? S'il s'était oublié à Maisons, il ne s'ou- bliait jamais à Gormeilles. Que lui importaient les choses de la terre? Il nageait dans le bleu, le ciel lui avait ouvert ses portes; les bienheureux sont trop perdus dans leur extase pour regarder aux détails et pour dresser l'inventaire du paradis. Cependant les ex- tases de Samuel ne l'empêchaient pas de se rendre en toute occa- sion agréable ou utile à M. Moriaz. Il lui demandait souvent la per- mission de l'accompagner dans son laboratoire. M. Moriaz se flattait d'avoir découvert un nouveau corps simple, auquel il attribuait des propriétés fort curieuses. Depuis son retour, il s'occupait d'expé- riences délicates dont il ne se tirait pas toujours à son honneur : ses mouvemens étaient brusques et ses mains un peu gourdes; il lui arrivait parfois de tout casser. Samuel lui proposa de l'assister dans une manipulation qui demandait beaucoup d'adresse; il avait les doigts souples, déliés, subtils d'un escamoteur, et la manipula- tion réussit au-delà de toute espérance.