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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/534

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se présentant rarement, les luttes des partis et des personnes devaient naturellement porter sur des objets de plus en plus minces, sur des intérêts de plus en plus mesquins, à tel point qu’à force de ténuité les fils qui composent l’écheveau de la politique hellénique sont devenus insaisissables à l’étranger.

A l’étroitesse de la scène répondaient la subtilité héréditaire des acteurs et la passion des longs discours, le goût du bavardage spirituel et des fines discussions, si sensible chez le Grec de tous les âges. Ces défauts du caractère étaient aggravés par un inconvénient provenant plus directement de la conformation du royaume et des limites imposées à la Grèce, grâce à la défiante diplomatie de M. de Metternich et peut-être aussi aux secrètes visées de la Russie, peu soucieuse de fortifier l’hellénisme aux confins des Slaves. Ce n’est pas seulement au point de vue matériel, territorial, que la Grèce officielle est incomplète, mutilée, difforme, c’est aussi au point de vue moral. La Grèce de 1830 est par sa configuration même privée d’équilibre intérieur. Composée uniquement des provinces helléniques du midi, elle est toute méridionale par le caractère de ses habitans comme par la latitude, et manque du contre-poids que lui eussent donné les provinces du nord, l’Épire et la Thessalie. La Grèce actuelle est comme une France abandonnée aux Provençaux et aux Gascons, les plus vifs peut-être, les plus beaux parleurs, les plus intelligens même de tous les Français, mais assurément ni les plus sages ni les plus calmes. La Grèce de 1830 ressemble encore à une Italie réduite au Napolitain et à la Sicile, toute méridionale, toute maritime. Les lourds Béotiens et les sauvages Étoliens ne suffisent pas à donner au royaume l’assiette intérieure qui lui manque : il lui eût fallu les solides populations de la Thessalie et de l’Épire. Comme l’alliage d’un métal plus grossier donne à l’or ou à l’argent plus de résistance, le sang plus pesant de l’Albanais eût heureusement, dans les provinces du nord, corrigé la ductilité hellénique. Dans les limites actuelles de la Grèce, sur un sol restreint et appauvri, avec une telle prédominance de l’élément naturellement le plus turbulent, s’il est une chose dont il faille s’étonner, ce n’est pas des fautes des Grecs, de leurs révolutions, de leurs banqueroutes ; c’est de leur sagesse, de leur prospérité relative, de leurs progrès. Les Grecs du royaume ont beau être souvent inférieurs à leurs frères du dehors, ils ont fait le miracle de vivre dans des conditions où l’existence semblait impossible et de conserver la liberté dans des conditions où l’absolutisme semblait leur seule chance de salut.

Quand, après la longue guerre de l’indépendance, une partie des pays grecs insurgés fut constituée en état autonome, tout était à créer sur un sol dénudé par des siècles d’abandon et ravagé par les armées