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Aucune nation ne montre un plus grand souci de l’enseignement populaire, un plus grand respect des choses de l’esprit, que ne le font les Grecs, en cela encore les vrais fils de leurs pères. Certes, sur ce sol appauvri et couvert de ruines, la culture intellectuelle ne peut encore donner de ces fruits rares ou exquis qui sont l’honneur d’une civilisation; si les fruits en sont modestes, ils sont au moins à la portée de tous. L’instruction primaire est plus répandue chez les Grecs que chez beaucoup de nations de l’Occident, qu’en Angleterre et en Belgique, par exemple. Par malheur, l’absence ou la rareté de la haute culture laisse à cette instruction populaire une certaine présomption, qui partout est l’écueil d’un enseignement tout démocratique et égalitaire. De cette diffusion et de ce peu de profondeur de l’instruction viennent en Grèce le grand nombre de journaux et la trop grande puissance de la presse périodique, qui contribue à exagérer et pour ainsi dire à hypertrophier chez les Hellènes les facultés et les passions politiques.

Les qualités et les défauts des peuples ne peuvent guère se peser que par la comparaison, par des rapprochemens. A quoi faut-il comparer la Grèce ? Est-ce aux vieux pays de l’Europe dont la civilisation s’est lentement et régulièrement développée; est-ce aux jeunes pays d’Amérique où la culture européenne a été transplantée en pleine sève et en pleine maturité? Non évidemment; c’est à la Turquie, c’est aux provinces voisines demeurées sous le joug ottoman, c’est à la Thessalie, à l’Albanie par exemple, ou mieux encore c’est à la Grèce elle-même, à la Grèce asservie du commencement du siècle qu’il faut comparer la Grèce indépendante. Le parallèle est facile, il n’y a qu’à se reporter aux récits des voyageurs à la veille ou au lendemain de la guerre de l’indépendance, et pour ne citer que les plus illustres à Chateaubriand, à Byron, et à l’ami de ce dernier, l’Anglais Hobhouse. Quels tableaux de désolation, quelle solitude dans ces régions encore toutes peuplées de noms et de souvenirs ! La vie comme la civilisation semblaient avoir à jamais abandonné la plus grande partie de l’Hellade. Cette terre qu’il parcourait Pausanias à la main, étonné de voir le touriste antique y rencontrer tant de cités, tant de monumens entassés, le voyageur moderne la trouvait nue et vide, sans villes, presque sans habitans, sans ruines même, car en dehors d’Athènes et de quelques localités de l’Attique, les ruines ont d’ordinaire péri, et l’on dispute parfois en vain sur l’emplacement des cités les plus illustres. Sur cette Grèce retombée dans la barbarie régnaient deux hommes qui en semblaient les souverains naturels, le brigand ou klephte, et le pirate, l’un et l’autre célébrés par les poètes de l’Europe et mieux encore par les chants nationaux qu’ont recueillis Fauriel et ses émules. Cette époque, si voisine de nous par