Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/595

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la région des grands lacs a déjà été explorée avec assez de soin pour qu’on puisse se faire une idée de l’avenir réservé dans ce pays aux tentatives de civilisation.

Pour arriver jusqu’aux lacs, suivons la route protégée désormais par le colonel Gordon, que le khédive vient de nommer gouverneur de la province du Haut-Nil, avec Khartoum comme résidence. Après cette ville, en remontant le fleuve, on sort de la région de l’éternelle sécheresse pour pénétrer dans celle où les pluies équatoriales couvrent le sol de la plus luxuriante végétation. Les crocodiles et les hippopotames abondent dans les eaux; les ignames, les serpens, les singes et les buffles, dans les forêts. Les rives du fleuve disparaissent cachées par les papyrus gigantesques et par l’ambatch, dont le bois est aussi léger qu’une plume, dit Schweinfurth. Entre les massifs des forêts s’étendent de vastes savanes où s’élèvent les monticules formés par les termites et les cases des nègres Shillouk. Entre la rivière des Girafes et le Nil Blanc, du 7e au 9e degré, ce n’est plus qu’un immense marais dont on n’aperçoit nulle part les limites. L’eau stagnante et chaude est entièrement remplie de papyrus et d’ambatch et couverte d’îles de plantes flottantes aquatiques. Les moustiques pullulent. L’air pesant, tout chargé de miasmes paludéens, engendre la fièvre et la dyssenterie. Aux approches de Gondokoro le terrain se relève, les montagnes apparaissent; le fleuve s’encaisse entre des rives où domine le gneiss. L’aspect du pays change complètement : on arrive dans la partie habitable de l’Afrique centrale. Le pays des Niams-Niams, de Mombuttu, de Madi, l’Ounioro et l’Uganda, où règne le fameux roi M’tesa, c’est-à-dire toute la région au nord des lacs Victoria et Albert, est, d’après les descriptions des voyageurs, un vrai paradis terrestre. Des arbres immenses, des palmiers, des figuiers, des acacias, forment des voûtes élevées, à l’ombre desquelles coulent d’innombrables ruisseaux. La végétation est si active qu’au bout de deux ans elle recouvre de fourrés épais les clairières où les indigènes mettent le feu pour obtenir quelques récoltes. Le bananier, le cocotier, qui donne de l’huile, atteignent des proportions inouïes. Cameron décrit des sycomores à l’ombre desquels cinq cents personnes campaient, et le baobab, le mammouth du règne végétal, a des proportions aussi gigantesques. La nature ne se repose jamais. Le soleil au zénith et l’eau toujours abondante permettent aux plantes de croître sans cesse et de donner des fleurs et des fruits en toute saison. Dans la région équatoriale, il pleut régulièrement pendant tous les mois de l’année, et dans la zone méridionale jusqu’au 17e degré il pleut en été comme en hiver.

L’altitude du plateau central, qui varie de 600 mètres à 1,300 mètres (le lac Victoria est à 1,120 mètres), tempère la chaleur, rafraîchit