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est plus fertile et la végétation incomparablement plus puissante. Le travailleur est sur place, il ne faut ni l’amener à grands frais au-delà des mers, ni le réduire en esclavage, ni l’acheter et l’entretenir. Les indigènes sont laborieux, soumis, intelligens. Déjà maintenant ils se livrent avec succès à tous les travaux de l’agriculture. Leur richesse en céréales et en bétail est très grande malgré l’insécurité permanente. Ils savent fondre le cuivre et même le fer, et ils en font des armes et des ustensiles de très bonne qualité. Le tannage des peaux, le tissage des nattes, l’art de filer, de tisser, de teindre le coton, sont très répandus, et beaucoup de leurs produits sont remarquables par la finesse et la solidité. Le nègre est peu inventif, mais il apprend vite, et, dirigé par des Européens, il ne serait pas inférieur à nos ouvriers ou à nos artisans. Les épreuves vraiment effroyables qu’ont supportées les porteurs de Grant, de Stanley et de Cameron prouvent qu’ils sont prêts à se soumettre aux plus durs travaux pour une rétribution souvent dérisoire. L’énergie déployée par les serviteurs de Livingstone, quand ils ont rapporté à la côte le corps de leur maître embaumé dans du sel, montre qu’ils sont capables d’un dévoûment qui va jusqu’à l’héroïsme. L’industrie agricole et manufacturière trouverait ainsi sur place toutes les matières premières, le travail à bon marché et le charbon pour les moteurs mécaniques. La production se ferait donc dans des conditions infiniment plus avantageuses que dans le pays où l’on maintient encore transitoirement l’esclavage, comme à Cuba et au Brésil, et même que là où l’on importe des coulies chinois, souvent au mépris des droits de l’humanité.

L’Afrique centrale, que l’on croyait naguère encore vouée à une stérilité complète, offre au contraire, dans ses phénomènes atmosphériques, dans sa faune et sa flore, une exubérance de vie et de puissance qui n’est égalée ni dans l’Inde ni même au Brésil. La quantité d’eau qui y tombe est plus grande que partout ailleurs. Le soleil, en passant alternativement de l’un à l’autre tropique, promène sur cette région une zone de nuages et les ondées fertilisantes qu’elle produit. Il en résulte une végétation d’une vigueur qui rappelle celle de l’époque carbonifère, et comme aux âges géologiques, les grands herbivores, éléphans, rhinocéros, hippopotames, buffles, derniers survivans de l’ancien monde, y abondent. La quantité d’ivoire que l’Afrique exporte représente la destruction annuelle de 30,000 éléphans. Rien non plus n’égale la richesse hydrographique de ce pays. Pour nous en faire une idée, jetons d’abord un coup d’œil sur ses lacs.

Quand on quitte Lado, qui remplace maintenant Gondokoro, par 5 degrés de latitude nord, et qu’on remonte le Nil, on le voit pénétrer dans une région montagneuse d’où lui vient le nom arabe de