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plus de 6,000 mètres, sous l’équateur même, leurs cimes couvertes de neiges éternelles. Nulle part au monde on ne rencontre autant de mers intérieures, qui toutes se prêtent admirablement à devenir des centres de civilisation. C’est le tableau de la Suisse, mais dans des proportions gigantesques. Déjà l’antiquité savait que le Nil prend sa source dans des lacs situés au centre du continent. Marinus de Tyr et Claudius Ptolémée, au IIe siècle après Jésus-Christ, avaient entendu parler par les trafiquans arabes de deux lacs dont ils fixent la situation vers le parallèle de l’île Menuthias, aujourd’hui Zanzibar, c’est-à-dire d’une façon très exacte. La Tabula alinamuniana de l’an 833 et la carte d’Abul-Hassan de l’an 1008 indiquent deux lacs, tandis que la Tabula rotunda Rogeriana de 1154 et la carte de P. Assianus en portent trois qui correspondent assez bien aux lacs Albert, Victoria et Tanganyka[1]; mais c’est depuis vingt ans seulement, et grâce aux découvertes de Grant, Burton, Speke et Livingstone, que l’on a pu s’assurer de l’exactitude de ces indications anciennes dont on commençait même à douter, car depuis le siècle dernier les cartographes, qui se piquaient de s’en tenir aux données positives, laissaient tout le centre de l’Afrique en blanc.

De ce plateau central, si admirablement pourvu sous le rapport hydrographique, descendent trois des plus puissans fleuves du monde. Depuis sa source jusqu’à la Méditerranée, le Nil mesure en ligne droite 3,900 kilomètres, ce qui suppose une longueur réelle supérieure à celle du Mississipi et de l’Amazone. Rien de plus étrange que ce fleuve, qui dans sa partie supérieure se ramifie dans tous les sens et est alimenté par une série de lacs et par d’innombrables affluens, et qui, depuis qu’il reçoit en Nubie l’Atbara venant des hauteurs de l’Abyssinie, coule en plein désert, sans que même le moindre ruisseau vienne y apporter le tribut de ses eaux. D’après les calculs de Schweinfurth, le bassin fluvial du Nil comprend 8,260,000 kilomètres carrés, tandis que celui de l’Amazone n’en mesure que 7 millions, et celui du Mississipi à peine 3 millions, et bientôt les lieutenans de Gordon feront flotter le drapeau égyptien sur cet immense territoire. Le Congo surpasse les autres fleuves par la masse prodigieuse d’eau qu’il précipite dans l’Océan-Atlantique. A son embouchure, il a 2,950 mètres de largeur, et la pro- fondeur vraiment incroyable de 380 à 400 mètres. Son courant va jusqu’à 7 kilomètres à l’heure, et son débit, de 51,000 mètres cubes par seconde, est si énorme que le fleuve ne se confond définitivement avec la mer qu’à 100 kilomètres du rivage, et qu’à 12 kilomètres l’eau est encore complètement douce. Ce débit, deux cents

  1. Voyez l’excellent résumé de nos connaissances concernant l’Afrique fait par le Dr Josef Chavanne dans les Mittheilungen de la Société géographique de Vienne. Central-Afrika nach den gegenwärtige Stande der geographischen Kentnisse, 1876.