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du gouvernement laissa passer cet empiétement; le conseil d’état, également nouveau, ne s’y opposa pas non plus. Le changement voté par la Martinique et la Guadeloupe acquit force de loi. Vainement, lorsque la Réunion, encouragée par ce succès, émit un vote semblable, M. Thiers, dont l’attention avait été éveillée par les réclamations du commerce métropolitain, refusa en 1872 de sanctionner la décision de cette colonie; les îles françaises, plus fortes que la métropole, grâce à l’ardeur de leurs convictions politiques, eurent raison du président de la république, et en 1874 le vote du conseil-général de la Réunion fut définitivement approuvé.

Les argumens favorables aux prétentions des trois colonies n’avaient pas manqué. Ainsi l’on avait dit qu’entre le droit de déterminer le tarif de douane et celui de le supprimer il n’y avait que la différence des infiniment petits, laquelle peut être tellement réduite qu’elle se confonde à peu près avec zéro, — ce à quoi l’on pouvait répondre que le droit n’autorise pas l’abus. Subtile ou non, cette argumentation ne pouvait détruire un fait brutal, irrécusable, savoir la diminution très considérable de l’importation de nos tissus dans les colonies, diminution fort sensible pour le commerce de Rouen : elle était de moitié, et il fallait bien le reconnaître; mais on se rejetait sur l’ensemble des importations de France, qui n’avaient pas subi une forte diminution. On sait que le courant commercial acquiert une grande force avec le temps : une fois établi, il se maintient en vertu de sa première impulsion; même dans des conditions défavorables, il subsiste par l’habitude des consommateurs. Ceci suffirait à expliquer la durée plus ou moins longue d’un mouvement d’échange entre une colonie et la métropole, même quand celle-ci se trouve avoir à lutter contre une concurrence étrangère. Mais il ne faut pas trop compter sur ces causes purement morales de rapports commerciaux : le commerce est essentiellement positif et n’obéit qu’à la loi de son intérêt, quand il est laissé libre de la suivre. Peu à peu les goûts changent, les habitudes se perdent, le patriotisme même cesse de se croire intéressé à favoriser l’industrie de la mère-patrie, et finalement dans le choix des marchandises, c’est l’utilité et le bon marché qui l’emportent, et il n’y a rien là que de naturel. Il faut, nous le croyons, peu compter sur ces préférences pour les marchandises françaises, qui ont, dit-on, survécu dans certains établissemens d’outre-mer à une longue domination étrangère. On cite l’île Maurice, où l’importation de nos produits a pris une notable extension depuis que l’Angleterre, en adoptant les principes de la liberté commerciale, a rouvert les ports de cette île à nos marchandises. Ce fait serait plus surprenant, si en même temps l’importation des produits nationaux anglais n’avait tenu le premier rang