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IV.

Les libertés et les privilèges dont jouissent nos colonies nous donnent le droit d’examiner, toute réserve faite de la question de patriotisme, non-seulement ce qu’elles coûtent, mais quel secours elles pourraient prêter au besoin à la France métropolitaine. C’est l’histoire à la main qu’il faut étudier ce côté de la question. Parlons d’abord de la Martinique, puis nous passerons à la Guadeloupe, et nous n’aurons que peu de mots à dire de la Réunion. Les deux premières îles ont de beaux états de services sous le drapeau de la France. C’est à l’époque de la guerre dirigée contre les Anglais, les Hollandais et les sujets hanovriens que la Martinique subit le contre-coup de la lutte où la mère-patrie se trouvait engagée. Cette île jouissait alors d’une grande prospérité agricole et commerciale; elle était chef-lieu et marché général des Antilles françaises. Elle centralisait les productions des autres îles et les marchandises de la métropole. C’est chez elle que nos colonies s’approvisionnaient; c’est sur son territoire qu’elles venaient déposer leurs denrées destinées à la métropole. La France expédiait alors deux cents navires à la Martinique. La guerre interrompit cette prospérité. Les colons s’y engagèrent avec ardeur; ils armèrent des corsaires : spéculation qui suspendit toutes les entreprises pacifiques. L’agriculture fut négligée, les plantations délaissées, le commerce et la navigation abandonnés. Les profits de la guerre de course furent très grands. Neuf cent cinquante bâtimens enlevés à l’ennemi furent vendus et rapportèrent 30 millions à distribuer en parts de prises. Mais cette somme était bien loin de compenser les pertes de la culture, et la colonie ne les avait pas encore réparées quand la guerre éclata de nouveau en 1755. Ce fut la guerre de sept ans, et quand la paix se fit en 1763, on la conclut en partie aux dépens de notre territoire colonial. C’est qu’aussi en France les choses étaient bien changées. Durant la première lutte, la flotte française léguée à Louis XV par le règne précédent était respectable, quoique bien inférieure à celle de l’Angleterre. Elle était d’ailleurs commandée par d’excellens officiers, et deux hommes d’un grand mérite dirigeaient nos forces dans les mers de l’Inde : c’étaient Dupleix et La Bourdonnais. Leurs exploits, leur talent diplomatique et administratif jetèrent sur nos entreprises maritimes un dernier reflet de grandeur. Mais pendant l’intervalle qui s’écoula entre les deux guerres, la dissolution de la vieille monarchie avait commencé, les finances du pays étaient dissipées sans profit et sans gloire. Les favoris et les maîtresses en détournaient le cours. Les ministres en étaient souvent réduits aux expédiens pour suffire aux prodigalités