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préjudice à la Martinique, et la Guadeloupe échappa également au péril de cette lutte où la marine française, reconstituée pendant les premières années d’un règne honnête, résista d’abord victorieusement aux Anglais. Cette lutte légua à la postérité les noms de marins distingués, tels que ceux du comte d’Estaing et de l’amiral Grasse, et la renommée d’un digne successeur de Dupleix et de La Bourdonnais, qui, comme eux, s’illustra dans l’Inde, le bailli de Suffren. Depuis qu’elle avait été prise par les Anglais pendant la guerre de sept ans, la Martinique avait été fortifiée. Une citadelle, appelée Fort-Bourbon, avait été construite au-dessus de la ville de Fort-Royal. Et certes la métropole estimait bien haut l’importance de la défendre, puisque 10 millions avaient été dépensés pour les travaux de cette forteresse. Pendant la guerre de l’indépendance, la baie de Fort-Royal, ainsi mise à l’abri des attaques, devint le centre des opérations maritimes de notre flotte, et dans cette forte situation, elle couvrait la colonie, qui échappa aux insultes de l’ennemi. Le voisinage de nos forces navales garantit également la Guadeloupe. Mais à la suite du combat naval des Pointes, où l’amiral Grasse perdit 6 vaisseaux, 3,000 hommes et fut fait prisonnier, la Martinique et la Guadeloupe auraient été tôt au tard exposées à des expéditions anglaises, si la paix qui fut conclue l’année suivante n’avait interrompu les arméniens.

Malheureusement nos deux colonies des Antilles avaient épuisé les heureuses chances de la fortune dans cette guerre américaine; elles étaient destinées à souffrir les maux de l’invasion et d’une longue occupation étrangère. Une épreuve préliminaire leur était réservée : celle d’une abolition de l’esclavage prononcée sans préparation, sans ménagement, sans aucune compensation. Accomplie brusquement, en vertu de la théorie des droits de l’homme, au mépris des droits de la justice, l’émancipation fut suivie d’une guerre civile qui détermina l’émigration d’un grand nombre de planteurs. La marine française, privée de la plupart de ses officiers, réduits à fuir la France pour échapper à l’échafaud, était devenue incapable de lutter avec les flottes puissantes et les marins bien conduits de la Grande-Bretagne. Plus d’état-major, plus de matériel; il ne lui restait que le courage : stérile courage qui aboutit à la catastrophe du Vengeur et au désastre d’Aboukir. Les colonies, sans la marine, sont à la merci de l’ennemi. Au mois de février de l’année 1794, les Anglais débarquèrent à la Martinique un corps d’armée de 15,000 hommes avec une puissante artillerie. Le commandant-général Rochambeau avait à sa disposition 600 hommes. A la tête de cette garnison si faible, il soutint pendant trente-deux jours un siège et un bombardement; mais il