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Où tous les temps groupés se rattachaient au nôtre,
Où les siècles pouvaient s’interroger l’un l’autre,
Sans que pas un fit faute et manquât à l’appel ?


Sa description même lui donne un démenti, puisqu’on y voit entassées au hasard les choses les plus disparates et l’histoire devenue un magasin de bric-à-brac : voici les paladins et les patriarches, voici Nemrod et Booz, Jason et Fulton, Eschyle et la Marseillaise, Bonaparte au pont de Lodi, non loin du Christ et de Néron ; voici, détail important, les ciseaux d’or avec lesquels on mouchait la lampe dans l’antre d’une prophétesse biblique ; voici les colliers que portait Tibère et que Tacite arrangeait en carcans ; voici la chaîne d’or du trône qui s’en va naturellement aboutir au bagne ; voici enfin, c’est le dernier trait, voici le braconnier terrible, Satan, qui, noir, riant, l’œil allumé, braconne dans la forêt de Dieu. Assurément tout cela n’est pas vulgaire, mais où est le sens ? où est la suite des âges ? où est l’harmonie des choses, cette harmonie qui résulte même des plus violens contrastes ? Ce n’est donc pas l’esprit de l’Orestie et l’esprit de l’Apocalypse qui ont détruit la belle ordonnance dont le poète nous parlait tout à l’heure, cette ordonnance n’existait pas. Et à supposer même qu’elle ait existé, non pas dans la peinture déployée sous nos yeux, mais dans la pensée intime du poète, à supposer, dis-je, que le grand artiste, séduit par l’enchantement des rimes, comme les antiques voyageurs par les chants de la sirène, ait suivi l’appel des paroles sonores sans trop se rappeler son idée première, pourquoi donc seraient-ce l’Orestie et l’Apocalypse qui auraient détruit cette magnifique architecture ? Quoi ! les siècles sont là parfaitement disposés, chacun à sa place, chacun dans son groupe et pouvant tous s’interroger l’un l’autre ; Eschyle parle, saint Jean parle, et la cité des âges n’est plus qu’un monceau de ruines ! On aurait cru au contraire que des Védas à l’Orestie et de l’Orestie à l’Apocalypse, une pensée divine se dégage au fond du cœur de l’homme et que toute l’histoire en est éclairée.

Si le poète a voulu dire qu’avant les clameurs de la conscience humaine la barbarie dominait dans le monde et que l’éclat de ces grandes voix, comme la trompette du jugement, a fait crouler une construction maudite, sa pensée serait exprimée d’une façon bien équivoque et elle donnerait lieu à des objections non moins fortes. On serait obligé de protester encore au nom de la philosophie de l’histoire ; il faudrait demander au sombre visionnaire pourquoi il enveloppe dans une telle malédiction ces milliers d’années pendant lesquelles la race d’Adam a si péniblement creusé son sillon et préparé des temps meilleurs. Nous savons trop quelle est la part du mal dans les choses de ce monde ; est-ce une raison pour nier la part