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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/656

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tant et parlera. Tous les hommes sentiront son pouvoir, toutes les âmes entendront sa voix. Les méchans seront mal à l’aise dans son voisinage, mais les bons, les augustes, les penseurs, les sages, sentiront le plein jour sur leur âme,

Comme sous le regard d’une énorme prunelle.


Cette prunelle énorme, — car à la fin comme au début le poète tient à ses images, — est-elle le point lumineux vers lequel doit se diriger la pauvre race des humains ? Non, elle perdrait son temps et sa peine. C’est ce que lui signifie l’auteur de la Légende des siècles : — Si tu vas devant toi pour aller devant toi, ô homme, c’est bien ; il faut que l’homme se meuve. Va, marche, jette la sonde ; mais, sache-le bien une fois pour toutes : jamais tu n’arriveras, jamais tu ne trouveras ce que tu cherches. Une trop grande distance te sépare de l’être infini. Ton sentiment religieux aura beau changer d’idéal, de forme, de culte, la religion la plus pure sera toujours vaine, car elle sera toujours infiniment loin de la cause des causes.

C’est pour mettre en relief cette théorie désolante que le poète a écrit les pages intitulées Abîme. Écoutez : l’homme parle, l’homme du XIXe siècle et l’héritier de tous les âges ; il vante ses luttes, ses conquêtes, ses trésors, il s’appelle Platon, César, Dante, Shakspeare, il a la science et l’art, le génie et la force, il fonde, il crée, et ce que la nature ne fait qu’ébaucher, c’est lui qui l’achève. « Terre, dit-il, je suis ton roi. — Tu n’es que ma vermine, » répond la Terre, et, comparant sa puissance, sa fécondité, son renouvellement perpétuel, à la destinée éphémère des fils d’Adam, elle triomphe en d’orgueilleuses paroles. Saturne, qui l’a entendue, lui impose silence : Convient-il à la chétive planète d’élever si haut la voix ? Qu’est-ce que ce grain de sable, avec un grain de cendre pour satellite, auprès de Saturne, et de son immense anneau, et des sept lunes qui lui font cortége ? Paix ! dit le Soleil ; Terre, Saturne, vous n’êtes que mes vassales, c’est moi qui suis le souverain. Vous n’êtes que le bétail, c’est moi qui suis le pasteur. Sans moi, que seriez-vous ? Un chaos de fange. Je suis la loi qui vous donne l’ordre, je suis le feu qui vous donne la vie. Il faut entendre alors de quel ton Sirius parle au Soleil et quelles humiliations il lui inflige : il l’appelle atome, poussière, espèce de clarté, il le traite de gardeur de planètes, il lui demande s’il y a de quoi être si fier, pour sept ou huit moutons qu’il mène paître dans l’azur ; lui, dans son orbe immense, il emporte

Mille sphères de feu dont la moindre a cent lunes.
Le sais-tu seulement, larve qui m’importunes ?