Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/710

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
704
RVUE DES DEUX MONDES.

droit d’interprétation, et au fond, dans le cas où les Turcs opposeraient une résistance dont elle reste juge, elle veut que les décisions de la diplomatie soient exécutées par l’Europe ou par la Russie seule, — ce qui remettrait tout en question, ce qui ferait du protocole un mandat européen confié au cabinet de Saint-Pétersbourg. On tourne ainsi dans une sorte de cercle fatal qui crée sans doute bien des difficultés, qui peut donner la clé de toutes les alternatives de négociations, où ne peuvent cependant se laisser enfermer des gouvernemens sensés et prévoyans, justement préoccupés de leur mission et de leur responsabilité.

L’autre jour, dans cette dernière séance du parlement où la question d’Orient a été de nouveau agitée, lord Derby, un peu trop pressé sur l’existence de ce mystérieux protocole dont on a si souvent parlé, répondait, non sans une certaine impatience qui ne lui est pas habituelle, au comte Dudley : «Comment le noble lord sait-il en quoi consiste l’entente établie entre le gouvernement de sa majesté et le gouvernement russe?.. S’il sait à quel résultat nous arriverons, je puis lui dire qu’il en sait plus que moi, ou que n’importe quel autre membre du cabinet. » Et le chef du foreign office ajoutait : « Le texte du protocole et les conditions auxquelles il sera signé, — s’il est jamais signé, — sont toujours l’objet de l’examen du gouvernement... »

Cela signifiait tout à la fois qu’à ce moment, il y a une semaine, les négociations passaient par une crise assez sérieuse, et que, malgré tout, elles n’étaient pas interrompues. Elles ont repris depuis, sinon une direction nouvelle, du moins plus d’activité et un caractère plus pratique. Elles semblent avoir eu surtout pour objet de simplifier la question en la divisant, de limiter le protocole à la constatation de l’accord moral et diplomatique de l’Europe vis-à-vis de la Turquie, en réservant le désarmement, qui devra toujours d’ailleurs rester l’acte spontané du gouvernement russe, qui ne pourra être considéré que comme un gage nouveau des intentions pacifiques du tsar. Que dans les pourparlers de la diplomatie russe avec l’Angleterre pas un mot n’ait été officiellement prononcé au sujet du désarmement, ainsi que l’aurait assuré, dit-on, le général Ignatief, ou que la préoccupation évidente du cabinet anglais ait été sous-entendue, peu importe ; cette considération ne pèse pas moins désormais dans la balance, elle est devenue un des élémens de la solution, de l’accord qu’on a aujourd’hui à cœur de maintenir et de fortifier. Dans les récens séjours qu’il a faits à Vienne comme à Londres et à Paris, le général Ignatief, qui passe pour un homme de sagacité, a pu constater sans peine la vérité des choses. S’il a tout vu, tout écoulé sans prévention, il doit nécessairement emporter à Pétersbourg cette impression que nulle part, dans aucun pays, chez aucun gouvernement il n’y a de dispositions défavorables à l’égard de la Russie, — que partout au contraire il y a le sentiment des dangers que créent les ostentations de force et les éventualités d’intervention militaire.