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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/802

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aussi bien que dans les familles. L’instruction primaire était très répandue; il n’y avait guère de maisons qui ne possédassent, outre la Bible, quelques bons livres de prose et de poésie; mais un jeune homme studieux n’y trouvait point les ressources nécessaires pour étendre ses études au-delà du niveau moyen.

Boston était déjà un grand centre de commerce, quoiqu’on n’y vît pas encore de grandes fortunes. Par compensation, les pauvres étaient peu nombreux. Le luxe était modéré, même chez les riches: personne n’était oisif; mais chacun en prenait à son aise, parce que l’ardeur extrême du gain n’avait pas développé l’âpreté de la concurrence. L’hospitalité s’y exerçait avec simplicité, comme il convient à des gens imbus de maximes si sévères. En politique, la majorité des citoyens appartenait au parti fédéral, surtout dans les classes riches et bien élevées. Ecclésiastiques, hommes de loi, médecins, négocians, tous fédéralistes, avaient accueilli avec sympathie les débuts de la révolution française; ils s’en étaient détournés avec horreur lorsque les excès étaient arrivés. Comme à Athènes, comme à Rome, la population mâle s’assemblait pour délibérer dans les grandes occasions; en ces circonstances, les hommes les plus considérés ne dédaignaient pas de haranguer la foule. Washington était le héros favori des Bostoniens. Au jour de sa mort, toutes les boutiques se fermèrent, les affaires furent interrompues; tous, même les enfans, se mirent un crêpe au bras.

Ne comprend-on pas que Ticknor, instruit et bien doué comme il l’était, ait conservé toute sa vie, par l’influence de ce milieu où il avait été élevé, le goût de la liberté et le respect des traditions? Nos alternatives de despotisme et de révolution lui devaient déplaire au même degré, l’organisation aristocratique de l’Angleterre lui sembler mauvaise. Cependant il commençait la vie à son tour par un acte qui parut sans doute révolutionnaire à quelques-uns. En ce temps, un jeune homme intelligent, de bonne famille et de goûts littéraires, ne pouvait être que clergyman ou avocat. Il possédait toutes les qualités voulues pour la première de ces professions, la foi, la pureté du cœur, une élocution facile ; néanmoins l’état ecclésiastique ne l’attirait pas. Il choisit le barreau, et s’en dégoûta presque aussitôt. A vingt-trois ans, il changeait déjà de carrière. Il existait dans le Massachusetts de grands établissemens d’instruction publique; les professeurs y manquaient sans doute plus que les élèves. Résolu de se livrer désormais tout entier aux études littéraires, George Ticknor se dit qu’après avoir passé quelques années en Italie, en France, en Allemagne, même en Grèce, s’il était nécessaire, il reviendrait mieux préparé pour l’enseignement public et que, dans cette carrière nouvelle plus que dans toute autre, il se rendrait utile à ses concitoyens.