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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/817

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Babel sans miracle et sans but. Sauf avec les gens du peuple, il n’y avait guère occasion de parler italien. Les Romains des classes élevées étaient trop peu nombreux, trop ignorans, pour tenir beaucoup de place. Cependant Ticknor retrouvait, en se présentant partout avec son éclectisme ordinaire, les relations mondaines dont il s’était fait une douce habitude. Les Français étaient rares, à peine en comptait-il quelques-uns adonnés à des recherches archéologiques. Les Russes ne lui plaisaient guère, il les trouvait trop enclins à abdiquer leur nationalité pour prendre les coutumes de leur entourage. Le Portugal était brillamment représenté par son ambassadeur, le comte Funchal, dont les dîners littéraires avaient une réputation méritée. Les Allemands comptaient dans la ville éternelle quelques esprits d’élite : Niebuhr et Bunsen étaient bien capables de séduire un jeune homme épris de l’antiquité classique. Quant à la colonie anglaise, la duchesse de Devonshire en était la personnalité la plus marquante. Un peu trop entichée de littérature, dépensant beaucoup d’argent à faire exécuter des fouilles qui n’étaient pas toujours bien dirigées, elle réunissait dans ses conversazioni tout le beau monde de Rome. C’était là que Ticknor voyait le cardinal Consalvi, l’homme le plus remarquable de la cour romaine sans contredit.

Ce n’est pas tout. Il y avait encore à Rome une famille que notre voyageur classe à part, parce que, selon lui, elle n’appartient plus à aucune nation : la famille Bonaparte. A vrai dire, il avoue qu’il n’y en avait pas de plus agréable à fréquenter, si bien que ses préjugés de naissance contre Napoléon Ier ne l’empêchent pas de leur rendre la justice due à leur situation et à leurs qualités personnelles. C’était d’abord Madame mère, logée dans le même palais que son frère, le cardinal Fesch. Celui-ci possédait une magnifique galerie de tableaux dont il se plaisait à faire les honneurs aux étrangers. Tous deux recevaient le soir, mais leur salon était un peu ennuyeux bien qu’ils y déployassent tout le luxe que permet une grande fortune. L’ancien roi de Hollande, qui ne portait d’autre titre que celui de comte de Saint-Leu, vivait avec simplicité, ne s’occupant que de latin, de poésie et de l’éducation de son fils aîné. La princesse Borghèse faisait grand étalage de ses magnifiques diamans et des restes d’une beauté que l’âge n’avait pas trop endommagée. Chez Lucien, connu sous le nom de prince de Canino, la vie était plus intime. Entouré de nombreux enfans, marié pour la seconde fois à une femme d’un esprit cultivé, le prince recevait quelques amis avec cordialité. On le devine, ces exilés avaient conservé les traditions de l’urbanité française, les habitudes de la conversation frivole qui repose le soir des fatigues de la journée. Le voyageur qui s’était