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premier ne peut être prouvé. Il est au-dessus de toute preuve parce qu’il est l’absolu et le commencement de tout. Qu’est-il donc en soi? Il est cause de soi, causa sui, ce qui implique qu’il est en quelque sorte antérieur à lui-même. C’est l’aséité des scolastiques; mais qu’est-ce qu’exister par soi-même, être cause de soi-même? Quelle est la réalité qui correspond exactement à cette notion? C’est la volonté, la liberté. Dieu est donc volonté absolue, liberté absolue, en conséquence personnalité absolue.

Ainsi Schelling, sans renoncer à ce qu’on appelle en Allemagne « le monisme, » devenu en quelque sorte un dogme pour tout philosophe allemand, retournait, après un long détour, à la doctrine de la personnalité divine, qui paraissait avoir sombré à tout jamais dans l’océan du panthéisme. M. de Hartmann affirme que Schelling n’est pas devenu pour cela infidèle au panthéisme : sa doctrine nouvelle, dit-il, est le panthéisme de la personnalité (Persönlickkeit-Pantheismus). « Dieu est l’être, et tout être n’est que l’être de Dieu. » Ce principe subsiste dans la nouvelle philosophie de Schelling. Ce que Schelling combat dans le panthéisme, c’est le Dieu mort de Spinoza, le Dieu logique de Hegel : ce qu’il lui substitue, c’est un panthéisme monothéiste; mais en même temps il continue à rejeter le vieux théisme, le théisme populaire, celui qui croit que Dieu est un être extérieur au monde; pour lui, comme pour tous les panthéistes. Dieu est intérieur aux choses.

Réduit à ces termes, le débat entre le panthéisme et le théisme ne nous paraît plus signifier grand’chose, car où a-t-on vu un théisme qui soutienne l’extériorité absolue de Dieu? Non-seulement toute philosophie théiste implique la présence de Dieu dans les choses, mais il n’y a de religion qu’à ce prix. Pour nous, un panthéisme qui reconnaît la personnalité divine, si l’on ne joue pas sur les mots, est précisément ce que nous appelons le théisme. Lorsqu’en effet nous revendiquons comme formule de notre doctrine[1] cette proposition fondamentale de Maine de Biran : « La science humaine a deux pôles, la personne moi d’où tout part et la personne Dieu

  1. Cette formule nous paraît pouvoir être proposée comme la formule caractéristique du spiritualisme français. Elle est invoquée par Emile Saisset (Introduction à Spinoza, 2e édition, 1860, p. 306); et M. Ravaisson (Rapport sur la philosophie du dix-neuvième siècle, p. 246) dit à peu près dans le même sens : « L’absolu de la parfaite personnalité est le centre d’où se comprend notre personnalité imparfaite. » En conséquence, au lieu de cette expression vague de spiritualisme, qui signifie tout ce qu’on veut, nous aimerions à désigner notre doctrine par l’expression plus précise et plus scientifique de théisme personnaliste (Persönlichkeit-Theismus), ou philosophie du conscient (Philosophie des Bewussten); notre philosophie prendrait par là un caractère plus net et plus significatif en présence des autres doctrines de la métaphysique contemporaine.