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et effet de lui-même ? La vie, considérée comme force vitale, comme cause organisatrice, est-elle la même chose que la vie considérée comme la résultante de toutes les fonctions ? Tels sont nos doutes, et dans ces conceptions sublimes et transcendantes nous craignons que l’on n’oublie un peu trop les vieilles règles de la logique sur la précision des termes et la clarté des définitions.

Nous sommes arrivés à concevoir l’absolu comme un être vivant ; n’est-il pas quelque chose de plus ? L’être, avons-nous dit, est cause de son existence, et cause de sa substance ; mais cette substance se manifeste dans l’existence d’une manière réglée, déterminée, conforme à des lois. Si l’être produit sa substance et son existence, il faut aussi qu’il produise sa loi. Il ne pourrait la recevoir d’un autre être sans devenir relatif. Il est donc cause de sa propre loi. Or un être qui se donne à lui-même la loi, qu’est-ce autre chose qu’un esprit ou une volonté ? En effet, déterminer soi-même la nature de son activité, c’est être esprit. Être esprit, c’est se donner à soi-même sa loi, c’est-à-dire son propre caractère. « Êtes-vous savant ? c’est que vous avez étudié. Êtes-vous généreux ? c’est que vous avez dompté votre égoïsme. En un mot, nous sommes libres. Esprit, volonté, liberté, c’est une seule et même chose. »

Chacun des degrés de cette déduction correspond à une phase particulière de la philosophie moderne. La substance cause de son existence, c’est la substance de Spinoza : la substance identique à la cause, c’est la force de Leibniz. L’être cause de lui-même, l’être vivant qui est son but à lui-même, c’est l’idée de Hegel. L’être qui se donne à lui-même la loi, c’est la volonté autonome de Kant. La dernière phase, celle qui reste à traverser, la liberté absolue, est celle du second Schelling.

En effet, nous ne sommes pas au bout : nous n’avons pas encore atteint le terme final et décisif. L’être est libre : il se donne à lui-même sa loi. Mais d’où lui vient cette liberté ? L’a-t-il reçue d’ailleurs ? il ne serait plus absolu : ce serait une liberté semblable à celle des hommes. En outre, l’esprit tel que nous l’avons défini implique encore une autre contradiction. Il se donne la loi ; mais c’est en vertu de sa nature. D’une part il se détermine, de l’autre il est déterminé. Il est donc encore à la fois esprit et nature. Pour résoudre cette contradiction, il faut aller plus loin qu’une liberté possédée par nature, que l’esprit aurait reçue d’un autre, ou qu’il tiendrait de son essence. Il faut que l’esprit se fasse lui-même esprit, qu’il se donne à lui-même la liberté. En un mot, la définition de Dieu « cause de lui-même » implique les degrés suivants : « Substance, il se donne l’existence ; vivant, il se donne la substance ; esprit, il se donne la vie ; absolu, il se donne la liberté. » Il est « absolue liberté. » Impossible d’aller au-delà ; mais il faut aller jusque-là, La