Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/844

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par conséquent à la pensée, dont il forme la limite, c’est l’absolu en essence; mais le principe fixe, immanent, immuable, nécessaire, c’est le Dieu réel, tel qu’il est en fait pour nous : c’est notre Dieu, ou, plus simplement, c’est Dieu. Dieu n’est pas une substance, c’est un fait. L’absolu est la nuée; Dieu est l’éclair. » Ainsi l’absolu devient Dieu en créant le monde, en créant le vrai, le juste, le bien, l’ordre, car ce n’est que par rapport au monde que toutes ces choses existent. Dieu veut être Dieu. « Il se fait et se proclame Dieu; il est Dieu parce qu’il le veut. »

En se créant lui-même, Dieu a créé le monde. Pourquoi? Dans quel dessein? Dieu a-t-il besoin du monde? Non, sans doute; quelle peut donc être la raison suprême de la création? Constatons d’abord que le monde existe : c’est un fait. Nous ne pourrions deviner l’existence de ce fait a priori; mais étant donnés d’une part l’existence du monde, de l’autre le principe de la liberté absolue, nous pouvons conclure de là le motif de la création. Ce motif, c’est l’amour.

Comment de la liberté absolue passe-t-on à la doctrine de la création par amour? Ce passage est une des déductions les plus subtiles de la théorie; mais elle a eu assez de succès dans quelques écrits récens de la philosophie française, pour que nous nous attachions à la faire connaître, quelque artificielle qu’elle nous paraisse. Dieu est la liberté absolue; l’acte de la création doit donc être un acte de liberté absolue. Si le motif de la création était puisé dans l’essence même de Dieu, il ne serait pas libre. L’amour ne peut donc pas être antérieur à la liberté; il doit en être l’effet. Mais si Dieu, en créant, obéissait à un motif égoïste ou intéressé, par exemple sa gloire, son plaisir, etc., il ne serait pas plus libre, car c’est être l’esclave d’une loi extérieure et supérieure à sa propre volonté que de rechercher exclusivement son bien-être. Tout retour d’un sujet sur lui-même implique besoin, manque, asservissement à soi-même. L’absolu affranchissement est donc identique à l’absolu désintéressement. Donc le motif de la création doit être puisé dans un être autre que Dieu, et doit avoir pour objet la créature elle-même : or Dieu ne doit rien à cette créature qui n’existe pas encore. Il la crée donc pour elle-même, et sans y être obligé. Qu’est cela, si ce n’est un acte de grâce, de faveur, de libéralité, en un mot d’amour ou de charité? Ne croyons pas pour cela que l’amour soit l’essence de Dieu : c’est le miracle éternel de sa volonté. L’amour n’est point une essence. L’être parfait est celui qui se donne à lui-même la perfection. Le véritable amour est celui qui se crée lui-même par la libre résolution de sa volonté. « L’amour, c’est la liberté faisant acte de liberté. » Cela revient à dire que la création est une