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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/852

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la liberté, comment enfin maintenir au sens propre tous les paradoxes précédens? Être intelligent, n’est-ce donc pas avoir une nature, une essence? L’intelligence n’est-elle donc pas un attribut déterminé? Si vous prétendez que votre liberté intelligente n’a pas d’essence, que faudrait-il donc pour qu’elle en ait une dans le sens que vous combattez? Définissez-nous cet absolu dont vous ne voulez pas et qui aurait une essence autre que l’intelligence et la volonté. Tous les philosophes ont eu beau enfler leurs conceptions depuis l’origine du monde, ils n’ont jamais pu réussir à concevoir que trois attributs possibles de la divinité sur le modèle de nos propres facultés : vouloir, penser et aimer. De ces trois attributs vous en conservez deux : la volonté et la pensée; vous ne réservez que l’amour comme corollaire de votre déduction; mais, ce point réservé, qu’a donc votre doctrine de si différent du théisme proprement dit, puisque des trois attributs qu’il admet, vous en conservez deux?

La doctrine d’une liberté absolue et celle d’une liberté intelligente se contredisent l’une l’autre. « Je suis ce que je veux, » dit l’absolu. Il y a cependant une chose que l’absolu ne peut pas vouloir : c’est de ne pas être intelligent, et il n’a pas davantage le pouvoir de vouloir l’être, car, si l’intelligence était un résultat de la volonté, il y aurait eu un moment (au moins logique) où il y aurait eu volonté sans intelligence, ce que M. Secrétan déclare lui-même impossible, puisque ce serait, dit-il, le caprice et le hasard; et puis comment vouloir être intelligent, si l’on ne sait ce que c’est que l’intelligence, c’est-à-dire si on ne la possède pas déjà? La volonté est donc intelligente par nature et non par choix. Maintenant, étant telle, ne pourrait-elle pas vouloir ne plus être intelligente? C’est là d’abord une hypothèse assez oiseuse, car pourquoi le voudrait-elle? Et d’ailleurs cela est impossible, car vouloir ne plus être intelligent, ce serait vouloir n’être plus volonté, c’est-à-dire liberté, et comme la liberté est identique à l’absolu, ce serait vouloir ne plus être absolu, en d’autres termes ne plus être. La liberté absolue peut-elle aller jusque-là? Dans la doctrine de Schopenhauer, si semblable par le principe à celle de Schelling et de Secrétan, la volonté, nous le verrons, peut cesser de vouloir s’objectiver; elle peut vouloir anéantir le monde et la vie; mais elle ne peut se détruire elle-même, et M. Secrétan, pas plus que Schelling, ne s’est engagé à aller jusque-là.

On nous dit que l’absolu peut vouloir être fini ou infini, parfait ou imparfait, que les perfections qu’on se donne à soi-même sont supérieures à celles qu’on tient de son essence. Qu’entend-on par là? Qu’est-ce, le fini ou l’infini? Entendez-vous ces mots dans le