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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/922

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éternel solennel exaspère, lui que le contrepoint rend si nerveux, cesse tout à coup de récriminer contre tout ce vieux fatras classique, et pour peu que vous aimiez la fugue, il vous en mettra dans la ronde du sabbat de la Symphonie fantastique, dans le bal chez les Capulets et jusque dans la chanson du rat de cette Damnation de Faust. Il est vrai que cette fois c’est plutôt d’une parodie de la fugue qu’il s’agit.

Comme il admirait Shakspeare, Berlioz admirait Goethe ; un peu moins peut-être, car Shakspeare fut pour lui presque un dieu. Quoi d’étonnant que Faust ait, dès la première heure, subjugué cet esprit de feu et de flamme ! Ce qui vous surprend, c’est qu’il ait pu faire tenir tout le poème dans l’espace d’une symphonie, car il ne saurait être ici question de lit de Procuste ni de réduction à la Gounod ; les grandes lignes du chef-d’œuvre sont maintenues, la caractéristique, comme disent les Allemands, reste debout ; des épisodes, il y en a sans doute, mais avec quelle vigueur d’accent dramatique ils se rattachent à l’action ! Rappelons-nous la sonnerie de la retraite et la chanson des étudians encadrées dans la scène d’amour et que le musicien ramènera plus tard aux oreilles de Marguerite à l’instant final des remords et des épouvantes, — l’air de Faust saluant la chaste retraite de la bien-aimée, la fugitive apparition du démon, l’entrée de Marguerite, la chanson du roi de Thulé, archaïque et découpée à la manière d’une gravure sur bois d’Albert Durer, tout cela est-il assez franchement inspiré, passionné, assez en scène ! Singulière rencontre pourtant que cette symphonie se trouve être aujourd’hui la vraie pièce et vous fasse éprouver tous les sentimens, toutes les commotions électriques du Faust de Goethe. À côté de cette page à la Michel-Ange, le Faust de l’Opéra déjà si effacé, si petit, diminue encore et s’amoindrit jusqu’à ressembler à ces personnages de Mme de Sévigné qui devaient à la troisième génération gauler des fraises. « La modulation de Haydn m’est une caresse, disait Rossini ; celle de Beethoven produit sur moi l’effet d’un vigoureux coup de poing. » Les caresses et les mignardises sont à leur place dans une pastorale, mais ni Faust, ni Méphistophélès, ni Marguerite n’appartiennent à ce monde-là. Faust aime, séduit, abandonne Marguerite, et cette simple histoire rapporte à Marguerite la mort de sa mère, de son frère, de son enfant et finalement son propre supplice à elle. L’innocente fillette tue sa bonne femme de mère au moyen d’un narcotique qu’elle lui verse pour ne pas être dérangée dans ses rendez-vous nocturnes avec son amant ; survient le frère, Faust et Méphistophélès l’assassinent ; Gretchen, folle de honte, noie son nouveau-né, et la voilà qui de prison passe à l’échafaud. Reste à se demander si Goethe, dramatisant cette anecdote, s’est proposé d’offrir aux artistes de son temps et de l’avenir un sujet de romance ou de camaïeu. Telle assurément ne fut point la pensée d’Eugène Delacroix ni de Berlioz, et s’il leur est arrivé, à l’un comme à l’autre, de subir