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sa grandeur : Ecce deus veniens dominabitur mihi ! La musique de M. Gounod est à son aise dans cette action toute romanesque et dont les figures héroïques, si l’on veut, ne s’élevaient point jusqu’au type. M. Gounod n’est pas, comme Auber, un simple auteur d’opéras comiques, il a le pressentiment de l’idéal, la nostalgie des hautes cimes, malheureusement pour franchir la zone ordinaire, pour s’envoler au-delà des coteaux modérés, l’envergure des ailes lui manque. A l’Opéra, sa musique n’emplit point la salle, tandis qu’au théâtre Favart et dans une pièce telle quelle, ayant pour thème les amours et la conspiration de M. le marquis de Cinq-Mars, l’optique entière changera, et le même style fin, surfin, cette même mélopée abondante et souvent aqueuse vous paraîtront du Meyerbeer et du Verdi par la simple diminution du cadre et du sujet. Je prends un exemple : le chœur de la conjuration : Sauvons le roi, la noblesse et la France, avec ses gammes chromatiques ascendantes et descendantes des instrumens à cordes et qui sur le terrain et dans les conditions dont je parle entraîne l’auditoire et l’illusionne. Transportons à l’Opéra ce fameux vacarme, vous verrez la larve dramatique s’évanouir et vous n’aurez plus qu’une manière de cantique du père Lambillotte très mirifiquement orchestré selon la formule de Meyerbeer : Sauvons le roi, la noblesse et la France, au nom du Sacré-Cœur! Dieu n)e garde de médire des cantiques; il en est un au premier acte d’un mysticisme plein de douceur et d’émotion : De Thou et Cinq-Mars ouvrent un livre au hasard et croient y lire leur horoscope dans la légende de deux martyrs qui marchent au supplice appuyés l’un sur l’autre et dont le même tombeau recouvre les corps sanglans; la phrase qui se termine par un : «ainsi soit-il » d’onction toute résignée et chrétienne reparaît ensuite au dénoûment et projette son pathétique sur le fond sinistre du tableau. C’est tout ce que contient de remarquable cette entrée en matière, où se succèdent avec une monotonie désespérante les vieilles ritournelles de l’opéra italien, où l’éternelle cavatine à la nuit resplendissante prépare agréablement l’éternel duo des adieux. Le second acte, coupé en deux tableaux, n’offre guère plus d’intérêt musical. C’était Donizetti tout à l’heure, voici maintenant le tour de Meyerbeer : Ah ! monsieur le grand écuyer, permettez que l’on vous salue! Comment, lorsqu’il existe cette scène exquise des amis de Nevers s’empressant au-devant de Raoul, un homme de la valeur de M. Gounod consent-il à perdre son temps sur le même sujet? Patience, nous ne sommes pas au bout. Après la salutation des amis, nous aurons l’épisode de la conjuration, toujours comme dans les Huguenots, cette conjuration mérite par exemple qu’on s’y arrête. La manière dont les auteurs du drame l’ont exposée nous ramène à l’enfance de l’art, si ce n’est plutôt à l’art de l’enfance. Le théâtre ainsi compris devient une suite incohérente de découpures. Plus de plan, d’agencement, ni de combinaisons.