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restreint des trois empires a succédé sans plus de bonheur l’action combinée des six puissances. Le second acte de la pièce jouée en Orient a été semblable au premier : en dépit des longs dialogues et des changemens de scènes, l’action n’a point marché; mais voici que le troisième acte commence, les péripéties vont se succéder et la guerre précipiter le dénoûment.

Qui est responsable de cette soudaine et misérable issue de tant de mois de négociations? La Russie et l’ambition moscovite, disent les uns, la Turquie et l’obstination musulmane, répondent les autres. La vraie, la grande coupable, c’est l’Europe, qui n’a pas su s’entendre pour prévenir les hostilités, ou, ayant fait mine de s’entendre, n’a pas su appliquer ou imposer son programme. A travers toutes leurs fautes ou leurs erreurs. Russes et Turcs ont eu une politique suivie, l’Europe n’en a point eue ou n’a point su s’y tenir. Il serait puéril de se le dissimuler, la principale responsabilité de la guerre retombe sur les neutres qui n’ont pas su l’empêcher, sur leur manque de volonté ou de décision, qui lui-même ne tient qu’à leur manque d’union, à leurs soupçons et à leurs défiances. Dans la plupart de ces négociations, à Londres en particulier lors du dernier protocole, les puissances n’ont pu s’entendre qu’à l’aide de formules péniblement élaborées; elles se sont mises d’accord plutôt sur les mots que sur les choses, accord factice et illusoire que doivent toujours suivre de rapides déceptions. Les puissances n’ont pu convenir d’une ligne de conduite, et quand, à force de concessions réciproques, elles ont fini par s’arrêter à un programme comme à la conférence de Constantinople, elles n’ont pu se concerter pour l’action, et leur intelligence est restée stérile, leur programme lettre morte. L’on ne s’occupait que des difficultés de la rédaction, et l’on ne voulait rien prévoir, rien décider en cas de refus de la Porte ou d’inexécution de ses promesses. Ce qui était plus fâcheux encore, les puissances n’apportaient manifestement dans les notes présentées en commun ni la même foi ni le même zèle, les unes témoignant un attachement sincère aux mesures réclamées de la Sublime-Porte, les autres se laissant soupçonner de ne les appuyer que pour la forme, sans confiance dans leur efficacité, sans rancune contre le divan, qui les devait repousser. Au lieu de se laisser intimider par les demandes solennelles des six puissances, la Turquie a pu ainsi n’y voir qu’une sorte de cérémonie officielle, une affaire d’étiquette diplomatique où les gouvernemens, dissimulant mal leur scepticisme, ne prenaient part que par bienséance. Une démonstration énergique eût seule pu détromper le divan. Il est triste de voir qu’après un demi-siècle de progrès l’Europe s’est trouvée moins unie, moins hardie, moins intelligente de ses propres intérêts que sous la restauration, à l’époque où la France et l’Angleterre