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REVUE. — CHRONIQUE.

certaine politique qui se proposait de conserver la paix de l’Occident et d’obtenir des réformes, des garanties en Orient. La résolution de la Russie change tout. Pour l’Angleterre, c’est évidemment une déception et une épreuve assez amère. L’Angleterre ne peut voir d’un œil favorable et rassuré une crise qu’elle s’est efforcée jusqu’au bout de conjurer. Elle a aujourd’hui toute sa liberté en face de ce duel qui s’engage. Elle n’a rien négligé pour vaincre les résistances opposées par la Porte aux conseils de l’Europe, à toutes les propositions de réformes. Elle n’a promis aux Turcs ni appui ni secours, elle n’a cessé au contraire de leur répéter qu’ils seraient seuls dans la lutte, qu’ils n’avaient point à compter sur une alliance ; mais si l’Angleterre est diplomatiquement libre, elle a ses sentimens intimes, les instincts de sa vieille politique, les traditions qui la lient, et le vrai sentiment anglais n’a pas tardé à se faire jour à travers toutes ces explications plus ou moins réservées qui se succèdent dans le parlement. L’Angleterre n’a rien promis à la Porte-Ottomane, qui s’est trop dépopularisée par ses actes ; elle est encore moins avec la Russie depuis la déclaration de guerre, et ce n’est point, selon toute apparence, pour être agréable au cabinet de Saint-Pétersbourg que le foreign office a tout dernièrement livre à la curiosité publique un nouveau Blue-Book contenant une série de rapports des agens anglais sur la conversion forcée des paysans grecs-unis dans le royaume de Pologne. La coïncidence a pu paraître singulière, d’autant plus que ces actes de la politique russe remontent déjà à quelques années. Lorsqu’on a interrogé le cabinet sur les motifs de cette divulgation, lord Derby s’est borné à répondre sans trop de façon, en faisant un rapprochement encore plus étrange que tout le reste : « Nous n’avions aucune raison de tenir ces documens cachés ; les motifs de leur publication ont été les mêmes qui ont amené la divulgation des rapports relatifs aux massacres de Bulgarie. » Lorsqu’on a demandé ces jours derniers au ministère anglais des explications sur cette assertion de la circulaire du prince Gortchakof que la Russie représenterait les intérêts de l’Europe, lord Derby, sans vouloir juger un document émané d’un cabinet étranger, s’est hâté néanmoins de dire : « Nous ne sommes liés en aucune façon par l’opinion du gouvernement russe ; nous n’acceptons ni la conclusion ni les argumens contenus dans ce document… » Au fond l’Angleterre n’est liée par rien : elle assiste aux événemens, non sans une certaine méfiance, avec réserve pourtant et probablement avec la volonté de se tenir prête à faire sentir le poids de son influencé soit par une médiation opportune, soit de toute autre façon, si les circonstances devenaient pressantes.

L’Autriche, de son côté, est dans des conditions bien autrement délicates qui résultent pour elle de sa position si compliquée en Europe, de ses intérêts directs en Orient, de ses rapports avec le cabinet de