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par une sagesse et une fortune uniques au monde, a conquis à la fois son unité nationale et sa liberté politique, laisse ce double bien sous l’égide de la monarchie parlementaire; la France, si durement éprouvée et si vite relevée, poursuit avec patience sa troisième expérience de la république, pendant que l’Espagne, ayant rapidement traversé sa première phase républicaine, commence sa seconde expérience de la monarchie constitutionnelle.

J’étais allé en Espagne sous le règne de la reine Isabelle, il y a une douzaine d’années; j’y suis retourné l’hiver dernier sous le règne de son fils Alphonse XII. Sans les troupes victorieuses, qui occupent militairement les provinces basques, sans les gares du nord partout brûlées au pétrole par les carlistes, un étranger eût pu oublier la révolution et la guerre civile, oublier le règne d’Amédée de Savoie et la république, pour se persuader que le fils avait régulièrement succédé à la mère. Un tel héritage recueilli sans troubles ni lutte armée n’est déjà plus dans les habitudes de l’Espagne. Chez elle comme chez nous, il n’y a point eu depuis le dernier siècle de fils ayant paisiblement succédé au trône de son père. Chaque avènement de souverain a été accompagné ou suivi de profonds bouleversemens[1]. Les dernières révolutions de la France et de l’Espagne présentent un singulier parallélisme; on dirait deux pièces imitées l’une de l’autre, ayant même intrigue, mêmes caractères et ne différant par le dénoûment que pour mieux s’adapter à la scène nationale. Les deux drames se jouaient simultanément sur les deux théâtres voisins; mais, comme pour éviter tout soupçon d’emprunt ou de plagiat, les acteurs espagnols ont eu soin de brusquer la fin et de n’en être jamais au même acte que leurs rivaux français. Comme pour affirmer son originalité et l’indépendance de sa politique, l’Espagne, tout en passant par des événemens analogues, a fait presque constamment le contraire de ce qu’allait faire sa grande voisine. Entrée en révolution avant nous, elle appelait chez elle un monarque étranger pendant que l’insurrection parisienne brûlait les Tuileries. Revenue à la royauté, elle se jetait tête baissée dans la république au moment où, dans l’assemblée de Versailles, se tramaient la chute de M. Thiers et le rappel du comte de Chambord. Une fois en possession du gouvernement républicain, elle en descendait rapidement tous les degrés pour remonter brusquement à la monarchie légitime, vers le moment où la France allait enfin s’arrêter à la république. A travers les coups de main parlementaires et les pronunciamientos militaires, l’Espagne, dans ces années

  1. Sur les dernières révolutions de la Péninsule, voyez l’Espagne politique de M. Victor Cherbuliez; sur les précédentes, voyez l’Espagne moderne et les Révolutions de l’Espagne contemporaine de M. Ch. de Mazade.