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trop enclins à recourir à la force armée. Quand le général Pavia ferma la porte des cortes, le maréchal Serrano put se croire en état de gouverner avec ses amis, de maintenir avec plus ou moins de tolérance un pouvoir intérimaire sorti d’une illégalité. L’événement montra l’erreur de ce rêve; il est donné à peu d’hommes de faire le Cromwell ou le Bonaparte. L’autorité légale des chambres une fois brisée, il faut installer quelque chose à la place. Un pays qui supporte un coup d’état ne s’arrête pas à mi-chemin dans la voie des solutions, il comprend peu les coups de force au profit d’un président, d’un régent, d’un gouvernement anonyme. Quand on en appelle ainsi aux baïonnettes contre les chambres ou la constitution, il faut avoir sous la main un gouvernement tout prêt, un monarque tout équipé, autrement l’on risque de travailler pour d’autres et de laisser appliquer encore une fois le sic vos non vobis du poète. Lorsque les faiseurs de coups d’état ne se soucient point du rôle de Monk, un autre le joue pour eux. Comme les révolutions, les pronunciamientos s’appellent les uns les autres. Martinez Campos succède à Pavia, et le maréchal Serrano fait place au jeune Alphonse. Quand on sort de la légalité, on ne peut fermer aux autres la porte qu’on a enfoncée soi-même, et les peuples ne sauraient rester en l’air, suspendus entre la république et la monarchie. Alors c’est le parti le mieux préparé ou le plus audacieux qui recueille l’héritage de la république avortée.

Aux yeux de certains esprits, la monarchie est un remède qui cicatrise instantanément les plaies d’un peuple, comme jadis les rois de France passaient pour guérir les écrouelles en les touchant. C’est beaucoup exiger d’une forme de gouvernement que de lui attribuer de ces vertus miraculeuses : il n’est malheureusement ni panacée sociale, ni spécifique infaillible pour la fièvre révolutionnaire ou l’anémie politique. L’Espagne en est aujourd’hui une preuve. Jamais république n’avait moins bien réussi, jamais restauration n’a été mieux indiquée. La monarchie est revenue en Espagne dans des conditions en tout temps difficiles à trouver ailleurs, impossibles à rencontrer en France aujourd’hui. Alphonse XII avait la bonne fortune de représenter à la fois l’hérédité royale et les libertés constitutionnelles. L’existence d’une autre légitimité qui personnifie uniquement le passé n’est qu’une sauvegarde pour la restauration espagnole, ainsi contrainte de demeurer moderne et libérale pour demeurer elle-même. Le jeune roi a déjà rendu au pays la paix intérieure, il lui fait espérer le rétablissement de sa domination dans les forêts de Cuba comme dans les montagnes basques, et cependant après deux ans de ce gouvernement réparateur, une brume épaisse semble encore couvrir l’horizon politique