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eu beau restreindre de moitié le nombre des électeurs, ils ne se montrent pas plus jaloux de se servir d’un droit devenu un privilège. L’indifférence pour la chose publique, l’abstention systématique des partis, le scepticisme général, expliquent seuls ce peu d’empressement à prendre part à un tournoi politique dont les vainqueurs sont toujours désignés d’avance. Aux récentes élections provinciales, les premières faites sous l’empire de la loi nouvelle, la capitale même de l’Espagne n’a pas envoyé aux urnes un tiers de ses électeurs. Sur 52,000 électeurs inscrits, Madrid a compté à peine 17,000 votans, et dans ce nombre figurent environ 8,000 employés, c’est-à-dire que près de la moitié des suffrages exprimés appartiennent aux agens du pouvoir. Cette fois pourtant une partie de l’opposition avait eu le courage de ne point se réfugier à l’abri de l’abstention. Une telle proportion d’électeurs et de votans, de voix libres et de voix dépendantes, a quelque chose de peu rassurant pour l’avenir constitutionnel de l’Espagne. Avec de pareilles mœurs publiques, le premier soin d’un gouvernement devrait être d’élargir la voie électorale, d’aplanir à tous les citoyens, à toutes les opinions, l’accès des urnes sous peine de demeurer, avec ses factices majorités parlementaires, à la merci des conspirations de caserne ou des intrigues de palais.

Jusqu’ici les partis aux affaires semblent avoir eu pour politique de se barricader dans le pouvoir comme dans un château-fort entouré de fossés, levant derrière eux tous les pont-levis, de façon à mettre leurs adversaires hors d’état de les chasser autrement que par surprise. L’habitude de voir les avenues du pouvoir si bien gardées et toutes les élections tourner au profit du gouvernement entraine les hommes politiques aux plus singulières théories constitutionnelles. Renonçant aux pratiques des pays libres, les Espagnols, au lieu de compter sur une majorité parlementaire pour obtenir le pouvoir, comptent sur le pouvoir pour obtenir une majorité. En leur peu de confiance dans les élections, des partis qui s’intitulent libéraux et se regardent comme les héritiers éventuels du ministère actuel, les centralistes et les constitutionnels aussi bien que les modérés, en appellent aujourd’hui même à la prérogative royale comme à la seule clé qui puisse ouvrir au pays une issue légale et le faire sortir de l’impasse politique où l’enferme le gouvernement. Les libéraux, ne voyant aucun moyen d’arracher la majorité aux ministres en place, engagent hautement le jeune souverain à retirer sa confiance aux hommes qui jouissent de l’appui des chambres pour la transférer à des partis en infime minorité dans le parlement. Donnez-nous le gouvernement, dit au roi l’opposition, donnez-nous la gubernacion, et nous obtiendrons du pays une nouvelle majorité, tant les hommes d’état d’Espagne se sont