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nous et au Japon! Quel dommage de voir l’imitation européenne gâter ces dons naturels, notre timidité de coloris succéder à cet heureux laisser-aller, le secret des belles nuances se perdre, et la coruscation des anciennes porcelaines faire place à la tiédeur des nouvelles.

C’est dans les vieilles broderies de Kioto, qu’on appelle des fuksa, dans certaine grande tapisserie représentant la mort de Bouddha, dans les papiers de tenture, les paravens à fond d’or, les plats anciens ou les soieries à ramages qu’il faut chercher aujourd’hui ces riches décorations; c’est encore dans les papiers gaufrés, imitant le cuir de Cordoue dont on fabrique les blagues à tabac, et qui pourraient fournir des tentures magnifiques sans l’odeur d’huile dont on ne peut les désinfecter, ou bien dans les éventails peints avec une si charmante délicatesse de touche. Il ne faut demander à toutes ces décorations ni dessin, ni formes, ni sujets bien déterminés. La composition n’est qu’un prétexte à d’heureuses combinaisons, un motif à variations chromatiques, où l’absence totale de perspective prévient au premier coup d’œil le spectateur qu’il est devant une œuvre de pure fantaisie, sans réalité même apparente. C’est précisément cette bizarrerie conventionnelle qui rend un pareil art acceptable. Il ne peut subsister qu’à la condition de s’éloigner de la nature; s’il s’en rapproche, s’il la copie niaisement, il tombe, comme nos enlumineurs de papiers peints et de faïences communes, dans une abominable platitude.

La céramique est peut-être de tous les arts industriels celui qui révèle le mieux, par le caractère et la variété indéfinie de ses formes, le style sobre ou abondant, austère ou riant du génie d’un peuple. De la difformité des potiches ventrues et trapues de la Chine à l’élégante cambrure des vases grecs, il y a la distance qui sépare les deux pôles de l’esprit humain. Le Japon s’écarte quelquefois de la Chine pour faire des rencontres heureuses, bien souvent sans savoir s’y fixer. Il fait en ce sens des progrès quotidiens; mais jusqu’à présent, ce qu’on prise le plus dans une poterie, c’est moins sa forme que sa pâte, sa couleur et les particularités de sa fabrication. Que de fois, en furetant dans les échoppes où l’amateur doit faire sa moisson de curiosités, il nous est arrivé, comptant sur quelque bonne aubaine, de saisir avidement un petit objet soigneusement enfermé dans une gaîne de castor et de ne trouver, après l’avoir développé dans l’attente d’un trésor, qu’un vieux pot de teinte uniforme, craquelé, pointillé ou flambé, dont notre inexpérience avait peine à comprendre la valeur et le prix exorbitant; mais c’était quelque faïence d’un bleu lapis, d’un vert céladon ou d’un rouge irisé dont la couleur nuancée sur elle-même ou la cuisson