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c’était l’action, l’énergie, la popularité. M. de Montalivet avait reçu cette triple force de ses études, de ses idées libérales, de l’élection de la garde nationale. Il devait la mettre au service de la France, quand même il trouverait quelque témérité à accepter une mission que, de son côté, le ministère lui offrait, parce qu’il avait la plus grande confiance dans son succès. — M. de Montalivet ne se laissa pas fléchir par ces flatteuses obsessions ; mais le même jour le roi, l’ayant fait appeler, lui dit : — Ce n’est pas un ministère que je vous prie d’accepter, c’est une responsabilité. Ne voulez-vous pas m’aider à sauver la vie des ministres? — M. de Montalivet céda sur-le-champ et n’hésita plus à jouer, sur la chance redoutable d’une seule journée, l’avenir de sa carrière politique tout entière[1].

A peine constitué sur ces bases nouvelles, le ministère Laffitte se trouva uni dans un sentiment commun, conforme à celui du roi, et dans la résolution de tout tenter pour repousser les exigences révolutionnaires aussi bien que pour sauver la vie des anciens ministres. L’influence de M. de Lafayette, celle de M. Odilon Barrot, y étaient encore puissantes, surtout dans la personne de M. Dupont de l’Eure; mais elles tendaient à s’affaiblir, et leur échec définitif devait succéder au dénoûment du procès. On sait en effet que, peu de jours après la condamnation de M. de Polignac et de ses collègues, M. de Lafayette fut contraint d’abandonner le commandement suprême des gardes nationales de France, supprimé par un vote de la chambre, et que M. Odilon Barrot un peu plus tard quitta la préfecture de la Seine, où son libéralisme imprudent et complaisant ne pouvait plus tenir contre le libéralisme plus habile et plus ferme de M. de Montalivet. Il convient d’ailleurs d’ajouter que ni M. de Lafayette ni M. Odilon Barrot n’étaient partisans de la peine capitale. Eux aussi voulaient une solution plus humaine et souhaitaient que le sang ne fût pas versé ; mais leur erreur consistait à croire qu’on pouvait attendre la clémence de la générosité de la garde nationale et de la population de Paris. Mieux éclairé, le ministère était convaincu que la fermeté de son attitude pouvait seule avoir raison des passions qui commençaient à s’agiter autour de la cour des pairs. Au prix même de sa popularité, et sans la marchander plus que ne la marchandait le roi, qui se vouait tout entier à l’accomplissement de cette œuvre courageuse, il entendait résister à des exigences dont le triomphe eût déshonoré, en l’affaiblissant, le gouvernement de juillet et peut-être préparé sa chute.

Il trouvait des complices dans l’immense majorité de la haute assemblée qui siégeait au Luxembourg, nous aurions dit dans l’unanimité,

  1. Mémoires inédits.