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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/341

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de fuir. Un sieur Lizoire, inventeur de projectiles, prétendait avoir reçu une commande de bombes destinées à être employées contre l’insurrection, et pour démontrer la fausseté de son assertion, il ne fallait rien moins qu’une lettre du général Sébastiani attestant que les engins de Lizoire étaient parfaitement inoffensifs.

En même temps, le président recevait des lettres signées ou anonymes pour et contre les ministres. Nous avons eu la patience de dépouiller aux archives de France le volumineux dossier de ces documens ignorés. L’orgueil de l’homme, sa générosité, sa naïveté, sa sottise, s’étalent là en toute liberté. Voici d’abord les dénonciateurs. Celui-ci a entendu M. de Polignac donner des ordres sanguinaires; celui-là a vu le duc de Raguse tirer sur le peuple. Un troisième n’a rien vu, mais il connaît un individu dont le frère peut fournir des renseignemens précieux. Un quatrième aspire à faire à la cour des révélations importantes; il ajoute « qu’aucun motif de vaine célébrité ne l’a dirigé, bien qu’il attache à cette circonstance de sa vie une importance relative à sa grandeur. » Un médecin veut être entendu le 8 décembre; en réalité il n’a rien à dire et ne cherche qu’à se procurer, comme témoin, un billet d’entrée dans la salle des séances, billet qu’il ne peut obtenir, ainsi que cela résulte des plaintes qu’il adresse le 16 au grand référendaire de la chambre des pairs.

Les griefs privés se mêlent aux griefs politiques. Le subrogé-tuteur de l’héritier de M. de Lally-Tolendal se plaint d’un déni de justice dont son pupille a été l’objet. De bonnes âmes présentent des argumens en faveur des ministres accusés. Un anonyme raconte que le prince de Polignac lui a fait la charité à Londres; un commissaire de police de la Gironde affirme que M. d’Haussez lui a dit un jour être l’ennemi des lois d’exception. Les fous ne manquent pas à la collection. Il en est un qui aspire à présenter la défense des coupables et débute ainsi : « Très nobles et puissans seigneurs, de toutes les ambitions qui ont dévoré le cœur de l’homme depuis qu’il existe, jamais aucune d’elles ne fut plus caractérisée que celle qui me parle déjà depuis l’âge le plus tendre. » Un autre se dit «chargé par Clio de composer l’histoire de la révolution. » Une lettre sans signature dénonce aux pairs la conspiration qui s’organise contre eux pour les massacrer si les ministres ne sont pas condamnés. Un esprit fort demande que la France entière soit constituée en jury pour prononcer sur leur sort. Enfin un philanthrope propose de substituer, en cas de condamnation, deux têtes à celles des condamnés. « Je serai à l’échafaud, s’écrie-t-il, à neuf heures du soir.» A côté de ces folies, les menaces. On écrit de Lyon : « La France et l’Europe entière ont les yeux sur vous. Malheur! malheur! Si les ministres sont condamnés, la Vendée, le Midi et les braves gens